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Pense-t-on que la Chine accorderait spontanément à la papauté les concessions que la France a dû lui arracher en 1860, quand nos troupes étaient sous les murs de Pékin ? Ce n’est guère probable. Mais, en admettant que le concordat le plus satisfaisant soit conclu, croit-on que l’envoyé pontifical, représentant de la plus grande puissance morale du monde, trouverait à Pékin les égards qui lui sont dus ? Les diplomates européens lui céderaient certainement le pas, suivant la règle. Quant aux Chinois, ils lui feraient grand accueil à son arrivée, ils lui témoigneraient beaucoup de politesses, mais ils ne l’écouteraient guère. Il est déjà difficile d’être écouté en Chine quand on a pour appuyer son langage les forces navales d’une grande puissance maritime. Comment pourrait avoir la prétention de l’être un homme qui ne pourrait agir que par la persuasion sur les gens les moins accessibles qui soient à ce genre d’argument ? Un peu de connaissance du terrain où évoluent les diplomates en Chine permet d’affirmer qu’au bout de quelques mois le représentant du saint-siège serait délaissé et dédaigné.

Le pape a longuement réfléchi avant de prendre une résolution définitive. Léon XIII, dont le pontificat a été marqué jusqu’ici par une politique si sage et si fructueuse, Léon XIII, qui a rendu tant de lustre à la papauté, ne pouvait, renoncer sans tristesse à la perspective qu’il avait entrevue d’entrer en rapports officiels avec le plus grand empire païen qui soit au monde. Mais il a fini par reconnaître où le menaient les insidieuses propositions de la Chine. Il n’avait jamais en la pensée de blesser la France, encore moins celle de nuire à un pays envers lequel il a observé toujours une attitude si conciliante et si prudente. Mais la question avait été posée de telle sorte que l’envoi d’un nonce à Pékin eût été considéré dans le monde entier comme un grand échec pour notre politique, et eût porté un coup très rude à notre situation diplomatique en Asie. Le saint-père l’a senti et il n’a pas voulu froisser le sentiment presque unanime des Français, y compris ceux dont le dévoûment à la cause catholique est le plus sincère. Il a reconnu que le régime nouveau imaginé par les ennemis communs de la France et de l’église ne constituerait pas une amélioration du sort des missionnaires, que ceux-ci, au contraire, auraient moins de garanties et moins de protection. Il s’est aperçu enfin que des ambitions personnelles avaient inspiré les personnes qui ont joué les rôles prépondérans dans toute cette affaire. Dès lors, la résolution définitive du saint-père n’était plus douteuse. Les émissaires du vice-roi Li ont repris, la route de Tientsin, et le ministre de France reste, comme devant, le seul protecteur de l’église catholique et de ses adhérens dans l’empire du Milieu.