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scientifique et de la conception moderne de la vie, est irrésistible. Certains pays se sont ouverts d’eux-mêmes. D’autres, comme l’empire chinois, luttent au nom des vieux principes et des préjugés d’autrefois. C’est à qui, parmi les nations de l’Europe, fera la plus large brèche à cette nouvelle muraille de la Chine, qui n’est plus le mur de dix mille lis qu’un million de soldats défendait jadis contre les invasions des Tartares, mais le rempart autrement difficile à franchir qu’oppose aux barbares des mers occidentales une méfiance séculaire et invincible. L’Angleterre envoie, pour donner l’assaut, des légions de négocians animés d’un remarquable esprit d’entreprise, laborieux, audacieux, patiens. Ils exploitent le pays et ses habitans, sur tous les points où la tolérance chinoise a permis aux étrangers de s’établir. Nous ne pouvons pas avoir la même prétention. La colonie française est infime en Chine, et la majeure partie du commerce, fort important du reste, que nous y faisons est entre les mains de maisons étrangères. Heureusement nous avons les missionnaires : si nous ne les avions pas, notre pays ne tiendrait pas en Chine une plus grande place que les puissances européennes de second ordre. Grâce à eux, le nom français est connu jusque dans les parties les plus reculées de l’immense empire. J’irai plus loin : leur action est plus puissante, peut-être, pour combattre l’esprit d’exclusivisme des Chinois, que celle des commerçans, lesquels, même s’ils ne sont pas marchands d’opium, sont mal placés pour dissiper les préjugés et la méfiance des indigènes, par cela même qu’ils poursuivent un but intéressé. Le gouvernement anglais l’a si bien compris qu’il encourage énergiquement les missions protestantes. Il sent que le meilleur moyen de se faire bien venir des Chinois est de leur montrer que l’Europe ne leur envoie pas seulement des hommes désireux de s’enrichir, mais aussi des gens dévoués et désintéressés, cherchant à leur rendre service, sans profit personnel. Tel doit être le rôle des missionnaires : se rendre utiles aux Chinois afin de faire aimer leurs personnes, leur religion et le pays d’où ils viennent. — On objecte aux missionnaires catholiques de n’avoir pas réalisé ce programme, comme en Syrie. Mais on oublie que le christianisme n’est vraiment libre en Chine que depuis 1860, que malgré la liberté, inscrite dans les traités, il rencontre encore mille entraves dans son développement, qu’enfin le terrain n’est pas le même chez le Fils du ciel que chez le commandeur des croyans. Un religieux perdu dans quelque région reculée du Yunnan ou du Kan-sou ne saurait ouvrir des hôpitaux ou fonder des écoles. Il faut, du reste, pour réussir auprès des mandarins et du peuple, un savoir-faire, une intelligence, un tact, qui ne se trouvent pas toujours réunis. Il faut, en