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Le long rituel imaginé par Ézéchiel est bien moins l’œuvre d’un prophète que d’un prêtre. On y sent les préoccupations de l’homme qui a été mêlé aux sacrifices, a vu les abus des coutumes établies, et a là-dessus son programme de réforme. Le prophète reparaît dans la conception idéale de la Jérusalem future, source de vie et de pureté pour le monde à venir, origine unique des eaux qui purifient, assainissent et fécondent. La pente de Jérusalem à la Mer-Morte, devenue un immense verger d’arbres, produisant des fruits tous les mois et dont les feuilles servent de médicamens, fournira ses plus belles images au Voyant chrétien du temps de Galba. La Jérusalem céleste de l’Apocalypse, qui suffit à consoler le monde depuis dix-huit cents ans, n’est que le calque, un peu régularisé, de la Jérusalem d’Ézéchiel. Le nom même de Jérusalem disparaîtra ; la ville s’appellera Iahvé-samma, « Iahvé [demeure] là. » Israël, rendu à la vie pastorale et agricole, goûtera sur ses montagnes, redevenues fertiles, le comble du bonheur. Ainsi, dans ce génie étrange, les visions eschatologiques du prophétisme s’unissaient, par un phénomène unique en Israël, aux soucis positifs de la Thora.


II

Ézéchiel était-il le seul à construire ainsi des utopies pour une restauration que l’on croyait prochaine ? Non certes, et tout prouve qu’il y eut, dans les trente ou quarante premières années après la ruine de Jérusalem, une période où s’élabora un nouveau Deutéronome, un code de l’avenir, non avec la précision qui est naturelle quand il s’agit d’édicter des mesures bientôt applicables, mais avec le vague que comportent les aspirations indéfinies.

Ce qui caractérise, en effet, les lois que cette époque ajouta au Digeste mosaïque, c’est leur caractère spéculatif et chimérique. Ce ne sont pas les expédiens de gens pratiques aux prises avec la nécessité, et faisant ce qu’ils peuvent pour parer aux exigences d’une situation qui est devant eux et leur impose des mesures claires. Ce sont des indications générales, qui deviennent puériles quand elles veulent en venir à quelque netteté, des plans comme ceux qu’on pouvait élaborer autour de M. le comte de Chambord ou ceux qu’on discute dans les clubs socialistes. Le code de la restauration fut ainsi ébauché cinquante ans d’avance. Ce n’est pas au moment de la reconstruction du temple que ces pages ont été écrites ; c’est à une époque où les espérances de la nation n’étaient que des rêves, où le pays s’offrait comme une carte blanche, et où l’on pouvait