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plus grand, sans comparaison, fut Ézéchiel, travaillaient dans le vide et n’étaient pas un moment arrêtés par le souci du possible. Le plan d’Ézéchiel renferme, en effet, une allusion évidente à l’idée de l’année jubilaire[1], non encore sous le nom qui la désigna plus tard officiellement.

Une hypothèse qui groupe bien toutes ces données convergentes est de supposer que, près d’Ézéchiel et sous son influence, il s’écrivit une Vie de Moïse, compilée d’après les textes les plus anciens, avec toutes les additions que les besoins du temps rendaient nécessaires. La forme était, en quelque sorte, anecdotique. Chaque solution légale était amenée par un cas qui était censé s’être présenté à Moïse ou à Josué. Ces solutions étaient toutes conçues dans le sens du haut sacerdoce aharonide et avec une nuance prononcée de haine contre les officians du temple, ou Beni-Qorah. Là étaient les récentes inventions sur le tabernacle, sur le rôle d’Aaron, sur le grand-prêtre et les habits sacerdotaux, sur les villes lévitiques. Là étaient l’histoire du lévite Qorah, destinée à montrer qu’on ne peut sans un vrai sacrilège attribuer aux lévites les privilèges des prêtres. Les anciens récits s’y retrouvaient amollis et transformés en histoires pieuses à tendances. Ainsi on y lisait une version très affaiblie des épisodes de Balaam, des filles de Selofhad, etc.

De même que l’auteur du Deutéronome avait repris presque toutes les vieilles lois du Livre de l’Alliance, pour les rajeunir et les développer ; de même le nouveau législateur embrassa dans son cadre une foule de prescriptions antérieures, comme s’il eût supposé que les autres codes étaient inconnus ou que le sien servirait seul. Vu le nombre extrêmement petit des exemplaires d’un livre, on voulait que chaque livre renfermât tout. Comme, plus tard, la compilation dernière de l’Hexateuque se fit sans tenir compte de ces doubles emplois, il en résulta d’étranges répétitions. Presque toutes les lois importantes reviennent trois fois : une première fois dans leur forme antique (Livre de l’Alliance, ou Décalogue), puis dans la forme deutéronomique, puis dans la forme lévitique ou sacerdotale. Le Décalogue lui-même, qui avait été repris par le Deutéronome, fut repris deux ou trois fois par les remanieurs sacerdotaux.

L’esprit moral du Lévitique diffère peu de celui du Deutéronome. Le fanatisme et le formalisme sont les mêmes. L’impression laissée par les réformateurs de 622 avait été telle que, cinquante ans après eux, on ne faisait que les répéter. La pitié, l’humanité, sont poussées aussi loin que possible, toujours, naturellement, dans le sein de la famille israélite. Le pauvre est entouré de tant de garanties

  1. Ézéchiel, XLVI, 17.