Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/853

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
847.
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

et furent gouvernés par un officier byzantin, l’exarque résidant à Ravenne. Alors se resserra le lien qui attachait le pape à l’empereur. On ne peut lire sans étonnement la correspondance pontificale, où l’humilité des plus grands papes descend jusqu’à la bassesse. Grégoire le Grand fait sa cour aux impératrices en même temps qu’aux empereurs ; il les charge de présenter au maître des doléances qu’il n’ose exprimer ; d’autres fois, par un artifice de rhétorique, c’est Dieu lui-même qu’il fait parler à Maurice, et Dieu prend des précautions pour ne point offenser ce personnage qui est très mal élevé, car il a un jour qualifié le pape de sot en toutes lettres. Grégoire a relevé l’injure, mais doucement. Il a tout supporté de l’homme dont il se dit le sujet, et duquel il reconnaît tenir sa dignité épiscopale. Mais voici qu’un aventurier du nom de Phocas a soulevé l’armée du Danube ; il est entré dans Constantinople ; la populace l’a acclamé, le patriarche l’a couronné : il a tué Maurice et massacré toute la famille de ce malheureux. Vite Grégoire le Grand écrit au meurtrier : « Gloire, s’écrie-t-il, gloire à Dieu qui règne au plus haut des cieux ! » Il attribue cette révolution à la Providence, qui, pour soulager le cœur des affligés, élève au souverain pouvoir un homme « dont la générosité répand dans le cœur de tous la joie de la grâce divine. » Il se réjouit que la bonté, la piété soient assises sur le trône impérial. Il veut qu’il y ait « fête dans les cieux, allégresse sur la terre ! » En même temps, il présente à la femme du parvenu, Léontia, ses félicitations : « Aucune langue, lui dit-il, ne pourrait exprimer, aucune âme imaginer la reconnaissance que nous devons à Dieu, » et il invite « les voix des hommes à se réunir au chœur des anges pour remercier le Créateur. »

Comme ses prédécesseurs, comme ses successeurs, Grégoire est soumis à cette puissance du passé qui perpétue le culte des vieilles idoles. Chose étrange, l’église a cru à la promesse d’éternité que les dieux avaient faite à l’empire ; ou du moins, puisqu’elle sait que les cieux et la terre passeront, elle croit que l’empire durera jusqu’à la fin du monde. Les papes n’ont pas même le pressentiment de l’avenir. Grégoire est un des fondateurs de la puissance pontificale ; il a tout préparé, pouvoir temporel et pouvoir spirituel, et pourtant ses lettres, ses sermons, ses dialogues donnent l’impression d’une fin, non d’un commencement ; il est triste, malade et las. Descendant des Anicii qui avaient donné à Rome des consuls et des préfets, destiné lui-même aux offices publics (il s’était rapidement avancé dans le cursus honorum avant que la vie contemplative l’attirât au monastère), ce patricien n’admet point que Rome puisse décliner sans entraîner le monde. Il tourne et retourne les prophéties où sont énumérés les signes du dernier cataclysme ;