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assez avare d’épithètes, le traite de « bon prince, d’empereur très chrétien, » et se lamente sur sa mort.

Ainsi la papauté arrivait à la grande crise sans l’avoir souhaitée, sans même l’avoir prévue. Pas plus que Grégoire le Grand cent années auparavant, le pape ne voit l’avenir. Son esprit habite le passé, où il se trouve bien. L’episcopus Romanus n’imagine pas qu’il puisse avoir un autre domicile que l’imperium Romanum. Nous avons donc en raison de dire, — et il importait de le montrer, — que ce pouvoir pontifical qui va préparer, de concert avec les Francs, l’Europe moderne, vient du passé.


II

Pourquoi la papauté s’est-elle détournée de l’Orient, et quelles ont été les causes de la rupture avec le vieil empire ? La réponse à cette question nous dira ce que voulait et ce que ne voulait pas l’évêque de Rome, et elle nous révélera le secret des ambitions qu’il saura satisfaire un jour en Occident.

Le pape revendiquait la qualité de chef de l’église universelle ; l’empereur a permis qu’elle lui fût contestée. Voilà un des griefs de la papauté.

Nous avons dit comment une hiérarchie s’était établie dans l’église : les sièges métropolitains s’étaient élevés au-dessus des sièges épiscopaux ; parmi les métropoles, le concile de Nicée avait attribué une place éminente à Rome, Alexandrie et Antioche ; enfin l’institution des patriarcats avait marqué un nouveau degré ; mais toute hiérarchie conduit à un sommet et veut un chef. L’église, modelée sur l’état, ne pouvait se soustraire à l’imitation de la monarchie impériale : à elle aussi il fallait un princeps, mais quel serait-il ?

Le premier rang fut disputé par Rome et par Constantinople. Constantinople, il est vrai, ne faisait que de naître ; ni le Christ, ni les apôtres n’avaient connu son nom ; aucun martyr n’y avait répandu son sang, mais elle avait été chrétienne dès sa naissance, et, tandis que l’ancienne Rome défendait, au IVe siècle, tout ensemble les reliques de sa gloire et celles du paganisme, la nouvelle était la vraie capitale de l’empire chrétien. Rome subissait tous les affronts. Désertée par les derniers empereurs réfugiés dans Ravenne, « celle qui avait pris le monde fut prise à son tour, » comme dit saint Jérôme, prise deux fois et pillée tranquillement par le Goth Alaric et le Vandale Genséric. Peu à peu la population diminuait et la richesse s’épuisait. Cependant Constantinople étouffait dans l’enceinte de Constantin et la débordait. Elle était située admirablement pour être