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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

belle, mais aussi pour être forte et commander aisément à un empire assis sur trois continens. Pendant des siècles, elle tiendra tête à ses ennemis : Slaves, Touraniens, Arabes. Ce n’est pas la nature seule qui la protégera, c’est aussi son gouvernement, et les rhéteurs à qui le bas-empire a fourni des thèmes d’éloquence, lui devraient tenir compte de sa durée, de l’habileté de ses hommes d’état, de la science et du courage de ses hommes de guerre. Une décadence qui a duré mille ans mérite quelques égards. Mais la vie politique et militaire des Byzantins ne nous intéresse pas ici. Considérons seulement la très singulière et très active vie intellectuelle qu’on y menait derrière l’abri des remparts, des flottes et des légions. Constantinople, héritière de Rome et d’Athènes, ne continue pas servilement l’histoire ancienne : elle fait du nouveau. Ce nouveau est le byzantinisme, un curieux phénomène, dont le caractère principal est l’application des habitudes et des procédés de la culture antique à l’étude des problèmes de la religion. Nombre d’esprits, qui ne sont pas vulgaires, se donnent avec passion à la théologie, au droit canon, à l’éloquence de la chaire. Ils y emploient, — car l’intelligence byzantine est un confluent, — la dialectique serrée des Sémites et leur mystique théosophie, l’esprit philosophique et l’imagination métaphysique des Hellènes. Toujours en travail, ils cherchent sans cesse de nouvelles questions ; ils sont si ingénieux, qu’ils intéressent à leurs discussions quiconque sait penser. Les débats de ces parlemens tumultueux qu’on appelle les conciles distraient l’attention même des dangers publics. La ville semble appartenir aux clercs et aux moines : ils y fourmillent ; ils sont les orateurs, les écrivains, les professeurs. Ils travaillent dans les bibliothèques, où sont accumulés les monumens des lettres. Près de l’église de Sainte-Sophie est domiciliée une université ; on y étudie, en même temps que l’écriture, Homère, Hésiode, Pindare, Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane, Ménandre, Théocrite, Lycophron, Thucydide, Démosthène, Strabon, Plutarque et Lucien. La philosophie y est dressée au métier de servante de la théologie, et la grande passion du moyen âge pour Aristote a commencé là.

L’activité de cet atelier théologique, avec laquelle contraste l’inertie intellectuelle de l’ancienne Rome, ne donnait-elle pas au patriarche byzantin des droits au gouvernement de l’église ? D’autre part, l’empereur est là, servi par une administration très forte, entouré d’une cour solennelle où il est littéralement adoré, gardien de la tradition de l’union de l’église et de l’état, de la subordination de l’église à l’état. Il ne s’est point fait lui-même souverain pontife, mais il ne peut admettre que le chef de la hiérarchie ecclésiastique ne soit point près de lui, sous sa main, et il estime que le voisinage de sa personne sacrée communique à l’évêque de