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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

pape Agathon. Léon s’était refusé d’abord à discuter, disant « qu’il ne fallait pas revenir sur ce qui a été une fois décidé, » que « la cause de la foi était évidente absolument, » que « l’audace de disputer devait être réprimée, » qu’il n’était point permis « d’affaiblir par une habileté vaine et fallacieuse ce qui a été au premier jour établi pour durer jusqu’au dernier. » À la fin, il avait parlé, mais pour condamner l’erreur avec l’assurance d’un apôtre, et proclamer que « le vrai Dieu a été vraiment homme, à la fois fils de Dieu et fils de l’homme, » et que « la chair a gardé dans le Christ la nature de notre genre humain. » La décision suprême du concile n’a été qu’une adhésion à la doctrine du pontife. De même, les pères de Constantinople n’ont fait que répéter, après Agathon, qu’il y a « deux natures, deux volontés naturelles et deux opérations naturelles en la personne unique de Notre-Seigneur. » Ces victoires donnaient à la papauté une grande autorité sur l’église, et, j’ajouterai, sur l’humanité. Pour que l’homme tourmenté par la souillure de la tache originelle se crût racheté, ne fallait-il pas qu’un Dieu eût purifié notre chair en souffrant par cette chair : « Il était nécessaire à notre salut, dit Léon, nostris remediis congruebat… que Jésus-Christ, à la fois homme et Dieu, pût à la fois mourir et ne pas mourir. » Quand l’hérésie est réduite, le pape pousse un cri de triomphe : « Nous sommes vainqueurs, mon très cher frère, écrit-il à un évêque d’Orient. Exulte en Jésus-Christ, fils de Dieu. Celui à qui l’on déniait une vraie chair a vaincu par nous et pour lui. Il a vaincu par nous et pour nous, Celui pour qui nous avons vaincu. Voici, depuis la venue du Seigneur, la seconde fête donnée au monde ! » C’était, en effet, retrouver le Christ et lui donner une nativité nouvelle que de lui restituer « la vraie chair. » Si les théologiens d’Orient l’avaient emporté, le Verbe aurait été une sorte d’abstraction et le christianisme une philosophie. Le christianisme a été une religion, parce que le Verbe, réellement incarné dans le Fils de Marie, a eu des larmes qui ont coulé et du sang qui a été répandu. Mais il faut méditer ces exultations où éclate l’orgueil magnifique du prêtre qui a combattu pour le Christ et par qui le Christ a vaincu. On dirait que ces querelles ont leur contre-coup dans le ciel, que les sentences rendues dans les conciles sont attendues là-haut, qu’elles peuvent modifier la nature divine, que l’existence de la Trinité dépendait de la défaite d’Arius, que le Christ enfin eût été diminué par le succès de Nestor ou d’Eutychès. Le pape confond sa victoire avec celle du Christ, la victoire du Christ avec la sienne ; il unit le ciel et la terre dans un commun effort, dont l’objet final est le salut de l’homme. Aucun pouvoir impérial ni royal n’a jamais habité région si haute. Aussi la papauté ne pouvait-elle