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ces processions remplacent les fêtes d’autrefois et les triomphes. L’évêque, de qui procède toute la vie ecclésiastique, est le grand personnage de la cité : son élection en est la principale affaire. Sans doute, on voit apparaître les élémens vagues d’une constitution municipale. Les documens parlent d’une « armée romaine » à côté de laquelle on voit agir des magistrats (judices). L’armée, c’était d’abord une garnison impériale ; mal payée, ou même point payée du tout par l’empereur, elle oublie son chef lointain et devient la milice de la civitas Romana. Les chefs forment une sorte d’aristocratie militaire ; unis aux judices, ces officiers impériaux qui deviennent eux aussi des membres de la cité, ils sont le corps des optimates ; mais le pape tient une plus grande place que ces municipaux dans la ville, justement parce qu’il n’y est pas contenu tout entier et que son autorité se répand sur le monde. Dans les grandes journées, c’est lui qui paraît au premier plan. Il est allé au-devant d’Attila pour le détourner de Rome ; il a traité avec Genséric de la capitulation ; il a porté les clefs à Bélisaire ; il est, contre les Lombards, le vrai défenseur ; au besoin même, il traite avec eux comme s’il était le prince de la ville. Les produits des domaines de Saint-Pierre, bien administrés, lui permettent de faire chaque mois une distribution de vivres. Grégoire le Grand se croit si bien obligé de donner à manger aux Romains, qu’ayant appris qu’un misérable était mort de faim dans la rue, il n’osa de plusieurs jours monter à l’autel. D’ailleurs, l’unique industrie de Rome est la construction et l’ornement des églises, et les architectes, maçons, peintres, sculpteurs, orfèvres, sont les cliens du pape. Parmi les travaux revient souvent la mention de la « restauration des murs : » c’est le pape qui l’entreprend et qui la paie. Fortifier la ville et nourrir les habitans, n’était-ce point faire office d’état ? L’évêque, par ces bienfaits quotidiens, préparait et légitimait l’autorité qu’il devait exercer un jour. Tout le servait : la ruine de l’ancienne Rome, la disparition des vieilles familles, la décadence de l’empire, l’invasion des Arabes, sa dignité apostolique, sa richesse ; car, même à l’origine de ce pouvoir sacré, se rencontre l’inévitable condition de toute puissance, la richesse matérielle, et saint Pierre n’aurait pas gouverné le monde si son successeur n’avait été un capitaliste.

En même temps que Rome, l’Italie cherchait les moyens d’une vie nouvelle. Les Lombards, en occupant une grande partie de la péninsule, avaient brisé l’ancienne division en dix-sept provinces, et rendu l’administration byzantine à peu près impossible. Comme ils enserraient les territoires demeurés grecs, ils les préparaient à l’indépendance par l’isolement. Des faits de toutes sortes révèlent la décomposition de l’ancien régime. C’est un officier qui se révolte ;