Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/880

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
874
REVUE DES DEUX MONDES.

les soldats éteignent les cierges avec leurs épées et emportent le pape au palais des Césars. De là Martin est conduit à Ravenne et à Constantinople ; ici, après avoir déclaré qu’il persistera dans la foi jusqu’à la mort, il est exposé, les vêtemens déchirés, dans le lieu où l’on livrait les criminels à la curiosité publique, et jeté dans une prison d’assassins ; transporté enfin à Cherson, il y est laissé dans le dénûment : « La faim habite cette terre, écrivait-il ; on ne connaît ici le pain que de nom. » Il mourut dans cet exil. Peuple et clergé avaient dû se soumettre une fois encore et procéder, après l’enlèvement de Martin, à l’élection de son successeur. Quarante ans après, tout était changé. L’empereur Justinien II envoyait à Rome son protospathaire Zacharie pour y saisir le pape ; mais une armée arrive « de Ravenne, de la Pentapole et des lieux environnans, résolue à ne point permettre que le pontife du siège apostolique soit transféré dans la ville royale. » Zacharie, tremblant pour sa vie, demande au pape de faire fermer les portes ; il le supplie avec des larmes d’avoir pitié de lui et de ne pas permettre qu’on attente à sa vie. Cependant l’armée de Ravenne est entrée au son des trompettes : elle se rend au palais de Latran et demande à voir le pontife, parce que le bruit s’est répandu qu’il a été embarqué nuitamment. Trouvant les portes closes, elle menace de les jeter par terre. Zacharie, éperdu, se cache sous le lit du pape. Celui-ci le réconforte de son mieux ; il sort, se montre au peuple et aux soldats, leur parle doucement, les apaise ; mais ils demeurent autour du palais jusqu’à ce qu’ils aient chassé le Byzantin de la ville en l’accablant d’injures.

Ce pape, qui lutte contre l’empereur avec le secours des milices « de Ravenne, de la Pentapole et des lieux environnans, » fait penser à ses successeurs, qui tiendront tête aux césars allemands avec les forces des cités guelfes. On dirait que Rome et l’Italie vont entrer dans une ère nouvelle. Des idées confuses s’agitaient dans les esprits des hommes de ce temps-là. Comme ils n’osaient les concevoir nettement, ils les exprimaient en des termes singuliers, où une grande ambition mal définie perçait à travers l’équivoque. Le mot respublica, par exemple, a une curieuse histoire. Seul, il signifie l’état, par conséquent l’empire, et lorsque le pape l’emploie dans cette acception, il fait acte de loyal sujet ; mais l’épithète sainte qu’il y ajoute n’est peut-être pas un simple terme de chancellerie : sancta respublica, c’est autre chose déjà que respublica tout court. Avec le temps, le terme s’enveloppe et se complique de plus en plus ; on trouve « sainte république romaine, » ou bien « sainte république des Romains, » ou bien encore « république romaine d’Italie. » Il serait téméraire de chercher ici des définitions exactes, car les hommes qui parlaient ainsi n’entendaient pas au juste ce