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jamais demandé la franchise électorale ; ils n’ont exprimé aucun vœu, formulé aucun desideratum politique. Nul indice n’aide à deviner comment ils se comporteront dans leur rôle nouveau de citoyens actifs. On n’ose rien promettre avec précision à ces élémens inconnus du scrutin. Aussi les programmes sont-ils désespérément vagues. Impossible de découvrir une opinion nettement formulée sur aucune des grandes questions à l’ordre du jour. N’était la partie critique et agressive de chaque discours, il serait impossible de discerner à quel groupe appartient l’orateur. Tous les candidats s’engagent à faire exactement les mêmes choses, savoir à réaliser des réformes à l’intérieur, à s’occuper du sort des classes pauvres, à sauvegarder la dignité de l’empire et à pacifier l’Irlande.

Sur quoi se font donc les élections ? Sur un manifeste que M. Gladstone, au retour d’une excursion en Norvège, lance le 19 septembre en forme d’adresse aux électeurs du Mid-Lothian (comté d’Edimbourg). Semblable aux programmes délibérés et fixés par les conventions nationales de chacune des grandes organisations politiques aux États-Unis, le manifeste de M. Gladstone est accepté par l’immense armée du libéralisme comme la condensation parfaite des vues et des doctrines du parti. C’est un long document, plus long que le fameux manifeste de 1874. Les sujets les plus variés y sont touchés avec une merveilleuse flexibilité ; parfois la pensée parait obscure, subtile, enveloppée ; c’est le défaut où incline volontiers cette vaste intelligence qui embrasse une question à la fois dans son ensemble et dans ses moindres nuances, dans ses limitations les plus ténues. Ce n’est vague qu’en apparence, et la précision apparaît à l’analyse. M. Gladstone établit une distinction entre les questions qui sont déjà mûres et celles qui ne le sont pas encore. Parmi ces dernières figurent, au premier rang, la reconstitution de la chambre des lords, la suppression de l’église établie d’Ecosse et d’Angleterre, la gratuité absolue de l’enseignement. De ces grands problèmes, le parlement qui va être nommé n’aura pas à s’occuper, et quant à lui, Gladstone, il en laissera poursuivre à d’autres la solution. Les questions mûres pour une œuvre immédiate de législation sont : la réforme du règlement de la chambre des communes, l’extension du gouvernement local, la refonte des lois foncières. C’est à résoudre promptement ces questions que devront s’appliquer les élus. Pour l’Irlande M. Gladstone préconise une large extension du self-government dans les affaires locales, limitée par la nécessité du maintien de la suprématie de la couronne, de l’unité de l’empire et de l’autorité du parlement nécessaire pour la conservation de cette unité.

En résumé, le manifeste de M. Gladstone présentait comme prêtes pour la législation un certain nombre de mesures nettes,