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l’administration du marquis de Salisbury dans un grand embarras, puisque, s’ils étaient exacts, il devenait tout à fait inutile de songer à proposer des concessions raisonnables au parti parnelliste. La situation tendait, en outre, à devenir critique au-delà du canal Saint-George. L’attitude vraiment libérale du vice-roi, lord Carnarvon, n’avait pas gagné un autonomiste à la conciliation. Le boycottage, depuis le commencement de l’hiver, était mis en pratique avec une audace qui déconcertait et frappait d’impuissance tout l’appareil gouvernemental, judiciaire et policier du monde officiel à Dublin ; grâce à ce terrible instrument d’oppression, l’ascendant de la ligue nationale s’établissait, incontesté, dans toute l’Irlande. Sur un point seulement la résistance s’organisait, mais avec des procédés extra-réguliers. Les loyalistes de l’Ulster annonçaient que les plus grands désastres devaient éclater si le home rule était concédé à l’Irlande, et qu’ils n’hésiteraient pas devant une guerre civile pour se préserver de ce fléau. Donc, point d’illusion : la question de l’Irlande devait être soulevée à bref délai sous une forme ou sous une autre. Quant à une entente entre les deux partis constitutionnels contre l’ennemi commun de l’unité de l’empire britannique, il n’y fallait point penser, si réellement M. Gladstone était résolu à passer le Rubicon et à proposer au parlement la séparation législative de l’Irlande et de l’Angleterre.

Il paraît qu’à cette époque M. Gladstone écrivit à lord Salisbury pour lui offrir le concours parlementaire du parti libéral dans le cas où le chef des conservateurs serait disposé à présenter lui-même un projet capable de donner satisfaction aux justes revendications de l’Irlande. L’engagement était ferme et sans condition, assura plus tard M. Gladstone. Il était, au contraire, absolument vague et pouvait se rapporter tout aussi bien à la politique extérieure du cabinet qu’à ses intentions à l’égard des autonomistes, répliqua lord Salisbury lorsque, aux élections de juillet dernier, il fut mis directement en cause par son rival. D’ailleurs, ajouta-t-il, M. Gladstone s’était réservé toute liberté d’action, ce qui donnait une valeur bien chétive au prétendu engagement. Quoi qu’il en fût de ce point délicat qu’il est impossible de trancher entre les démentis et les affirmations réciproques de deux parties également respectables et autorisées, lord Salisbury ne crut pas devoir accueillir favorablement les avances qui lui étaient faites. Son parti était pris, il gouvernerait l’Irlande ou quitterait le pouvoir. Le discours de la reine, faisant allusion aux attaques dirigées contre l’union législative, annonçait une opposition résolue à toute tentative de renversement de cette loi fondamentale. Il ajoutait que le système de l’intimidation organisée s’étant fort développé en Irlande, le gouvernement, obligé de pourvoir à la protection des droits et à la