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pendant dix ans tout le contraire ? Eh bien ! c’est que les circonstances avaient changé, car M. Gladstone ne pouvait avoir tort.

Du côté des parnellistes, on faisait peu de bruit. Le parti autonomiste devait éviter de se montrer trop satisfait, trop empressé à accepter l’offre de M. Gladstone. En Irlande, d’ailleurs, les mécontens ne manquaient pas, estimant que le bill ne reconnaissait pas suffisamment les droits nationaux et qu’il fallait demander de meilleures conditions. Mais M. Parnell se gardait bien d’insister sur les insuffisances du projet en discussion, car il n’eût fait que donner des armes aux adversaires de M. Gladstone, dont le principal argument était que le bill ne contenait aucun élément sérieux de finalité, que les Irlandais ne seraient pas plus tôt en possession de l’indépendance législative qu’ils ne s’en serviraient que pour réclamer la séparation complète. Il lui paraissait bien préférable de s’en tenir à sa tactique habituelle, d’accepter ce que donnerait le parlement, tout en réservant son droit de demander plus encore.

Cette politique de silence était d’autant plus opportune que le parti conservateur commettait au même moment une imprudence. Lord Randolph Churchill était allé agiter l’Ulster et enflammer les passions des loyalistes, presbytériens ou orangistes, en leur dénonçant les complots qui se tramaient contre eux au parlement. Il ne faut pas oublier que l’Ulster n’est point une province exclusivement protestante ou anglaise. La population totale des neuf comtés est de 1,465,000 habitans sur lesquels il y a plus de 600,000 catholiques. Était-il exact de dire que la minorité protestante (7 à 800,000 sur une population totale de l’Ile de plus de 5 millions) fût entièrement livrée par les bills de M. Gladstone à la merci de la majorité catholique ? Assurément non, mais il convenait à lord Churchill de persuader aux loyalistes de l’Ulster que leur perte était assurée s’ils ne prenaient eux-mêmes la résolution de repousser le sort dont on les menaçait. C’était une excitation directe à la résistance armée, à la guerre civile. Les orangistes comprirent ce que l’on attendait d’eux ; ils s’armèrent, et, bientôt après, les émeutes sanglantes de Belfast prouvèrent qu’ils n’étaient pas gens à hésiter longtemps pour passer des résolutions aux actes.

Le parlement ayant repris ses séances, M. Gladstone demanda le 10 mai à la chambre des communes de voter la seconde lecture du bill sur le gouvernement de l’Irlande. Il semblait que les dispositions générales se fussent modifiées dans un sens favorable ; on parlait volontiers de rapprochement, d’entente. Lord Hartington avait fait comprendre que d’importantes concessions pourraient le ramener ; les ministériels, pendant les vacances, n’avaient point défendu les deux bills comme des projets définitifs, mais plutôt comme de simples ébauches, susceptibles de nombreuses corrections. M.