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Un gouvernement, en effet, dans une société libre, c’est un parti au pouvoir, avec ses passions militantes et son esprit d’exclusion. Or, il faudrait une révolution prodigieuse dans nos mœurs politiques pour qu’un parti en possession du pouvoir acceptât, de la part de professeurs placés sous sa dépendance et recevant de lui leur salaire, la discussion, je ne dis pas de ses actes, mais des principes de sa politique. Et si la liberté philosophique trouvait par hasard, près d’un gouvernement ultra-libéral, un respect inespéré, elle devrait compter encore avec l’intolérance des partis d’opposition et des partis même qui prêteraient au gouvernement un concours plus ou moins docile. Les dénonciations pleuvraient de tous les côtés sur un enseignement qui ne peut user de sa liberté légitime et nécessaire sans choquer telle ou telle opinion. Elles inquiéteraient les familles, s’il s’agissait de l’enseignement secondaire ou primaire ; elles pourraient avoir de plus graves conséquences dans l’enseignement supérieur. Que de fois n’a-t-on pas vu, sous tous les régimes, l’enseignement qui comporte la plus grande liberté, puisqu’il ne s’adresse plus à des enfans, mais à des jeunes gens et même, en grande partie, à des majeurs, empêché par des manifestations tumultueuses, que provoquait la libre et consciencieuse exposition des opinions des professeurs ! La même antinomie se retrouve donc, dans l’enseignement philosophique, pour les questions sociales comme pour les questions métaphysiques. Un tel enseignement ne peut se donner au nom de l’état sans abdiquer sa liberté et, s’il abdique sa liberté, il perd toute sa raison d’être.

Nous avons considéré jusqu’ici l’enseignement philosophique in abstracto ; mais, dans la pratique, il ne peut se dégager des qualités personnelles des maîtres à qui il est confié. La philosophie, comme toutes les matières d’enseignement, exige une préparation spéciale. De là l’institution d’une agrégation de philosophie et, plus récemment, d’une licence philosophique. Or, tout examen professionnel suppose de jeunes candidats ; on ne s’y prépare pas dans l’âge de la maturité et quand on suit déjà une autre carrière. Des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans débuteront donc dans cet enseignement si délicat, aux prises avec tant de difficultés ; ils y débuteront avant d’avoir pu se faire, sur toutes les questions de philosophie, des convictions vraiment personnelles. Ils devront y redouter ce qui fait le prix même de leurs efforts, la libre évolution de leur pensée, car elle peut les entraîner dans des voies où il leur deviendra périlleux de conformer leurs leçons à leurs opinions, c’est-à-dire de rester d’honnêtes gens.

Telle est la situation que l’enseignement officiel fait à ses meilleurs maîtres, à ceux qui sont pourvus de titres spéciaux et qui les ont conquis à la suite d’examens de l’ordre le plus élevé. Que dire