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Moreau le Jeune ; et bien que les reproductions, enfin, de ces planches célèbres, admirablement choisies, puissent presque lutter de finesse avec les originaux eux-mêmes, je ne sais si ce que l’on aimera surtout à retrouver dans ce beau livre, ce ne sera pas encore le texte lui-même de MM. de Goncourt : divinations subtiles, analyses aiguës, énumérations, accumulations, et ce style précieux, tourmenté, prétentieux, bizarre, mais précis, et si bien approprié aux élégances plus qu’artificielles déjà du siècle qu’il raconte. Le succès qui ne peut manquer d’accueillir ce volume encouragera sans doute les éditeurs à illustrer quelque jour de la même manière la Société française sous la Révolution et sous le Directoire.

Un autre beau volume, d’un tout autre genre, c’est le volume de M. Gustave Le Bon : les Civilisations de l’Inde, illustré de sept chromolithographies et de plus de trois cent cinquante gravures dans le texte. Les chromolithographies représentent la porte du palais de Gwalior, la salle d’audience du palais de Delhi, une rue de la ville de Patan, etc. Quant aux gravures dans le texte, M. Gustave Le Bon, chargé d’une mission archéologique aux Indes, s’est efforcé de n’en donner presque aucune qui ne fût inédite. On remarquera surtout les deux cent trente-deux planches qu’il a consacrées à la reproduction des principaux monumens de l’architecture indoue. L’ouvrage est d’ailleurs d’une lecture facile, agréable même par endroits, toujours clair, souvent intéressant. Nous craignons seulement que M. Gustave Le Bon ne se soit exagéré la valeur et la nouveauté de quelques-unes de ses découvertes. Personne avant lui, si nous l’en voulions croire, n’aurait rien compris au bouddhisme, pas même peut-être Eugène Burnouf, et, quant aux autres religions de l’Inde, personne jusqu’à lui n’y aurait vu goutte. Mais trop est trop, comme l’on dit ; et il se pourrait, au contraire, que ce fût lui, M. Gustave Le Bon, dont l’éducation d’indianiste fût encore incomplète. La vue ajoute, aide beaucoup à l’intelligence des choses ; mais le contraire aussi ne laisse pas d’être arrivé, et si le proverbe vulgaire veut que les arbres empêchent de voir la forêt, c’est même que le cas est fréquent.

Quittons la rue Jacob pour le boulevard Saint-Germain ; de la maison Didot, c’est passer à la maison Hachette. Le beau volume de Mme Jane Dieulafoy : la Perse, la Chaldée et la Susiane, orné de deux cartes et trois cent trente-six gravures, d’après les photographies de l’auteur, est encore une relation de voyage. Nous n’avons pas à dire ici les résultats scientifiques et archéologiques de ce voyage, et il suffit que l’on sache qu’ils ont été considérables. Tandis que M. Gustave Le Bon explorait les civilisations de l’Inde, Mme Dieulafoy s’efforçait de reconstituer l’histoire de l’antique Iran ; et elle donne bien un résumé de ses conclusions, dans le dernier chapitre de son livre ; mais le présent livre n’en est pas moins, et avant tout, le récit très vivant et très spirituel,