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des professeurs des collèges communaux dont beaucoup n’ont pas d’autre titre que le simple et banal baccalauréat? Que dire des maîtresses de morale philosophique, dans les lycées et les collèges de jeunes filles, dont l’instruction première et l’instruction professionnelle n’ont fait à la philosophie qu’une part très insuffisante? Que dire aussi des maîtres et des maîtresses de l’enseignement primaire, dont les plus jeunes seuls ont pu être, je ne dis pas préparés, mais initiés à leurs nouveaux devoirs de professeurs de philosophie? Quelles garanties la société peut-elle trouver dans ces diverses catégories de professeurs et d’instituteurs pour leur confier un enseignement qui ne vit que par la liberté et qui ne peut en user sans danger, si elle n’est pas tempérée par l’étendue et la solidité du savoir, par la rectitude et la maturité l’esprit?

Enfin, l’enseignement philosophique ne peut recevoir des autorités universitaires la même direction et le même contrôle que les autres enseignemens. Les sciences positives ont des points controversés; mais, dans chacune d’elles, les vérités acquises dominent, et ce domaine incontesté s’accroît sans cesse par l’adhésion immédiate et unanime qui consacre les nouvelles découvertes. Ce sont, en un mot, dans presque toutes leurs parties, des sciences faites ; les livres qui les résument pour l’instruction peuvent différer par l’étendue ou par la forme ; ils ne se contredisent pas pour le fond. L’enseignement oral reçoit ainsi de l’enseignement imprimé une utile et sûre direction. Il reçoit aussi le contrôle non moins efficace des maîtres éprouvés qui sont appelés à le surveiller. Entre les inspecteurs et les professeurs il y a la communauté d’un même fond de savoir, plus complet et plus mûr chez les premiers, et qui ne soulève chez les seconds aucune opposition de principe. Une égale conformité ne se retrouverait pas dans l’enseignement littéraire. La part des vérités acquises est grande encore dans l’histoire ; elle reste cependant moins étendue et moins assurée que dans les sciences positives. Les lettres proprement dites n’ont point de vérités acquises en matière de goût, et les sujets de controverses s’y sont multipliés de nos jours, même en matière philologique. Je ne sais même si le désaccord n’est pas plus grand, dans le corps enseignant, entre les littérateurs qu’entre les philosophes. Le désaccord, en littérature, n’exclut toutefois ni la direction ni le contrôle; une certaine pression peut même se faire accepter sans trop de murmures, parce que les points sur lesquels elle s’exerce sont affaire de pure opinion et ne touchent pas à ce qu’il y a de plus intime et de plus exigeant dans la conscience. On traitera peut-être de perruque un critique illustre, un inspecteur redouté: on ne se sentira pas diminué si l’on reçoit quelques indications du premier ou si l’on défère aux conseils du second. Le philosophe sait faire aussi