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jusqu’au moment où il a obtenu l’objet de son amour. On lui a donné Marceline, « parce qu’il était riche ; elle s’est laissé donner, parce que cela l’ennuyait de ne pas être mariée, » Ah ! que tout cela est vraisemblable ! Fatigué lui-même de sa jalousie, relâche-t-il sa surveillance : « Va ! dit-il à sa femme, mais songe que ce serait mal d’abuser de la confiance d’un homme qui en a si peu. » À peine a-t-il « inauguré cette nouvelle manière, » qu’il en a du regret ; ballotté d’un sentiment à l’autre, il n’a pas un moment de quiétude ! « Mon pauvre ami, lui dit Courtebec, ce qu’il y aurait de mieux à souhaiter pour toi, ce serait que la femme le trompât réellement : tu serais plus tranquille ! »

Marceline, cependant, est serrée de près par Alfred. La scène où il l’aborde, où elle accepte le combat, en femme vertueuse, mais gaie, et qu’une escarmouche n’effraie pas, cette première entrevue, quelque peu scabreuse, est traitée avec une sûreté, une légèreté de main qui sont d’un maître, a eu bon français, monsieur, vous me demandez de tromper mon mari. — Oh ! — Non !.. Ce n’est pas cela ?.. — Heu !.. — Oui !.. Combien avez-vous en de… maîtresses dans le monde ? — Combien ?.. — Oui, je ne demande pas les noms, mais le chiffre. — Cinq. — Quel âge avez-vous ? — Vingt-quatre ans. — Ce qui fait, si vous avez commencé à dix-neuf, un an par… liaison. Vous venez donc me demander d’oublier mes devoirs, parce que vous avez envie de me garder un an. — Oh ! — Si fait ! Eh bien ! il y a trois cas où je comprends qu’une femme oublie ses devoirs : primo, si elle est perverse,.. je ne le suis pas… Ensuite, si son mari est insupportable… — Ah ! — Oui, je sais, mon mari l’est presque, et s’il continue à l’être autant, il finira, par l’être assez… Enfin, si celui qui vous aime est irrésistible… Êtes-vous irrésistible ? — Heu… — Oh ! oui… — Cependant… — Oh ! non. — Mais le jour où je vous aurai donné une preuve d’amour qui me rende irrésistible… — Ah ! ce jour-là, je vous le promets, et je ne vous résisterai pas… à moins qu’un autre ne me donne une preuve d’amour encore plus belle… » Tout ce dialogue n’est-il pas de la même façon que la Petite Marquise ? Mais si, comme Henriette de Kergazon, Marceline doit être sauvée, elle devra une part de son salut à elle-même. Elle aime son mari par grâce de nature et par grâce d’état, parce qu’elle est honnête et parce qu’elle est sa femme ; elle l’aime aussi parce qu’elle est femme : « S’il ne m’aimait pas tant, soupire-t-elle, il ne serait pas si bête ; et on a beau dire, ces choses-là nous touchent ! »

Survient la lettre galante. Y a-t-il sur l’enveloppe : Madame, ou : Monsieur Lahirel ? « Il doit y avoir Monsieur, » dit le mari, et il rompt le cachet. Le soir même, devant témoins, il affiche l’opinion qu’il a de la conduite de sa femme en prenant la banque, au baccara, et déclarant qu’il est sûr de gagner. Il gagne, en effet, ce dont il enrage et triomphe à la fois. Exaspérée par ses ricanemens, Marceline songe à la vengeance.