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son choix dans les indications et dans les conseils qui lui sont donnés de haut ; mais il n’accueille pas seulement avec un sourire dédaigneux les idées qui blessent ses convictions : le système qu’il a embrassé est pour lui une sorte de foi, qui peut admettre la discussion sur le pied d’égalité avec les systèmes contraires, mais qui se révolte contre toute autorité ou toute apparence d’autorité attachée à tel de ces systèmes. Le nom de science officielle, s’il signifiait quelque chose, n’exprimerait aucun empiétement sur la science pure et simple. Les termes d’histoire officielle et de littérature officielle ne se prennent en mauvaise part que parce qu’ils expriment, non l’enseignement de l’histoire ou de la littérature au nom de la puissance publique, mais la servilité de certains jugemens historiques ou littéraires. Une philosophie officielle représente, au contraire, dans l’opinion générale, l’ingérence d’un pouvoir despotique dans le sanctuaire de la conscience. Sous la monarchie de 1830, jusqu’à la réforme de M. de Salvandy, le gouvernement de l’instruction publique était exercé en fait par les huit membres du conseil royal de l’université, qui se partageaient les diverses branches d’enseignement. L’un régnait en maître sur les sciences mathématiques, un autre sur les sciences physiques, un troisième sur les lettres... M. Cousin sur la philosophie. Chacun, dans sa sphère, imposait ses idées à l’enseignement, ses préférences ou ses antipathies au corps enseignant. Cette double dictature sur les choses et sur les personnes n’avait pu s’établir sans provoquer de vives critiques et sans soulever de non moins vives inimitiés. M. Cousin n’était peut-être pas le plus impérieux des huit dictateurs ; mais sa dictature s’exerçait sur la philosophie : il n’en a pas fallu davantage pour que seule elle ait laissé le souvenir d’une autorité tyrannique.


II.

Le règne philosophique de M. Cousin vient d’être rappelé à l’attention publique par trois ouvrages considérables : la seconde édition du rapport publié, en 18657, par M. Ravaisson, sur la Philosophie au XIXe siècle; le Nouveau Spiritualisme de M. Vacherot, dont les premiers chapitres sont une revue rétrospective de toute la philosophie contemporaine ; enfin, et surtout le livre si complet et si impartial de M. Paul Janet : Victor Cousin et son œuvre. Ce sont là trois témoignages de la plus haute valeur sur la question même qui nous occupe, des conditions légitimes d’un enseignement officiel de la philosophie. M. Cousin est le premier qui se soit posé nettement cette question, et non-seulement il a pu se flatter de la résoudre complètement, mais il a eu, pendant de longues