Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

années, toute autorité pour mettre en pratique, dans l’enseignement d’un grand pays, la solution qu’il avait adoptée. Avec lui, nous ne sommes plus dans le domaine de la théorie pure, où les principes opposés affectent un caractère absolu et soulèvent des antinomies insolubles ; nous assistons à une expérience où les faits parlent plus haut que les idées abstraites, où se produisent peut-être d’autres difficultés que celles qu’avait prévues la théorie, mais où aussi peuvent apparaître des tempéramens et des moyens de conciliation qu’elle n’avait pas davantage soupçonnés entre les intérêts en lutte. Nous demanderons à cette expérience, en prenant principalement pour guide l’excellent livre de M. Janet, la réponse aux objections que nous avons impartialement exposées contre la direction officielle de l’enseignement philosophique[1].

La révolution n’avait fait qu’agiter le problème de l’enseignement philosophique, comme tous les autres problèmes d’enseignement. L’empire et la royauté restaurée en avaient écarté la plus grosse difficulté en revenant au régime d’une religion d’état. « Toutes les écoles de l’Université impériale, disait le décret constitutif de l’Université, prennent pour base de leur enseignement les préceptes de la religion catholique... » La charte de 1814, en restituant à la religion catholique le titre de « religion de l’état, » donnait à cet article une force nouvelle. La base exclusivement catholique de l’enseignement universitaire se conciliait mal sans doute avec l’admission, dans toutes les écoles de l’Université, d’élèves et de professeurs appartenant à toutes les communions religieuses ; mais l’article était assez clair et assez impératif pour bannir absolument toute doctrine qui n’aurait pas été strictement conforme à l’orthodoxie catholique. La charte de 1830 et les constitutions qui ont suivi, en cessant de reconnaître une religion d’état, ont élargi par là même la base de l’enseignement de l’état. De là l’importance et le caractère nouveau de l’enseignement philosophique dans la société moderne. De là aussi les terribles difficultés auxquelles il se heurte quand il réclame sa place légitime et nécessaire dans toutes les écoles de l’état.

Chargé, après 1830, de la direction de l’enseignement philosophique dans l’Université, M. Cousin n’avait reculé devant aucune de ces difficultés. Loin de les atténuer, il les avait plutôt aggravées. L’état, suivant lui, avait un triple devoir : 1° enseigner une philosophie complète, embrassant toutes les questions de morale sociale

  1. Outre les ouvrages de MM. Janet, Ravaisson et Vacherot, nous avons consulté avec profit, sur les suites de l’expérience tentée par M. Cousin dans les temps plus rapprochés de nous, les articles et les lettres de M. Boutroux, de M. Espinas, de M. Lavisse, de M. Janet lui-même dans la Revue internationale de l’enseignement et dans le Journal l’Université.