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la discussion dont elle fut l’objet, après 1830, dans le parlement. Violemment combattue par le parti catholique, elle fut mollement défendue par le parti libéral, et un des amis politiques de M. Cousin, un de ses plus éminens collègues dans le cabinet du 1er mars 1840, M. de Montalivet, exprimait hautement la défiance que lui inspirait cette philosophie séculière, dont les programmes agitaient, au nom de la raison, tant de graves problèmes revendiqués également par la foi. Devant ces attaques immodérées des uns et cette défiance des autres, M. Cousin sentait la nécessité d’amoindrir ses doctrines, d’en atténuer ou d’en excuser les hardiesses. Ses concessions ne désarmaient personne. L’établissement de la liberté d’enseignement par la loi de 1850 fit seul cesser la lutte. Dépossédée de son monopole, cette philosophie, qu’on jugeait si téméraire, a paru inoffensive à ses adversaires d’autrefois, et ils ont si bien cessé de la combattre que l’ancien objet de leur haine passe aujourd’hui pour avoir été leur complaisant et leur complice. La philosophie de M. Cousin a continué de régner dans l’université, après 1850, sans l’appui personnel de M. Cousin, et elle a régné plus facilement que lorsqu’il était le directeur attitré de tout l’enseignement philosophique. Elle ne s’est pas maintenue seulement dans l’enseignement officiel : l’enseignement clérical ne s’est fait aucun scrupule de s’approprier une philosophie que le clergé dénonçait, quelques jours auparavant, comme une cause de pestilence pour la jeunesse chrétienne. Elle a d’autres adversaires aujourd’hui : elle les avait déjà il y a quarante ans ; mais ce sont des adversaires qui ne la combattent que par des raisons philosophiques. Ici la lutte est sur son véritable terrain. Le refus de la liberté d’enseignement l’avait dénaturée, et M. Cousin, comme l’avare de la fable, s’était exposé à tout perdre « en voulant tout gagner. »

La liberté d’enseignement a profité à la philosophie de M. Cousin ; elle a profité à toutes les écoles de philosophie. Le spiritualisme tel que l’entendent les disciples de M. Cousin ou, pour parler plus exactement, les continuateurs de son œuvre, tient toujours la première place dans l’enseignement officiel ; mais il s’est transformé, il ne constitue plus que dans un sens très large ce qu’on appelle une école. Il se prête, sur toutes les questions, à des doctrines très diverses; il n’est, chez quelques-uns, séparé que par des nuances des systèmes rivaux. L’université s’est convertie à ces systèmes. Son enseignement va du spiritualisme traditionnel au positivisme absolu. Quelles colères n’eût pas soulevées, il y a quarante ans, cette invasion de la philosophie officielle par les doctrines hétérodoxes ! Elle a passé inaperçue, ou du moins elle s’est fait accepter sans murmure, non-seulement sous le