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rôle politique ; à ce point de vue, sa vie, depuis le départ du golfe du Mexique jusqu’à l’arrivée à Mexico, fut celle de Cortès lui-même, dont elle prépara diplomatiquement les victoires. C’est elle qui lui conquit la neutralité bienveillante des Totonaques, qui entama les premiers pourparlers avec les ambassadeurs aztèques, qui, invoquant d’antiques traditions, leur présenta les Espagnols comme les demi-dieux annoncés par d’anciennes prophéties. C’est elle qui, au milieu de la première bataille livrée aux TIaxcaltèques, et lorsque le chef des Totonaques s’épouvante de voir les sept cents Espagnols comme noyés au milieu des flots renaissans de leurs ennemis, lui dit, tranquille et convaincue : « Sois sans craintes, ils combattent avec leur Dieu, ils vaincront. » D’un autre côté, c’est elle qui, aux heures de découragement, de lassitude, de souffrance, anime, excite, réconforte les Espagnols. « Jamais, dit Bernal Diaz dans son naïf langage, ne fut remarqué en elle défaillance, mais toujours mâle et constant courage : ses paroles nous ranimaient. »

Après la victoire remportée sur les TIaxcaltèques, c’est elle qui les ramène à des idées de paix et fait d’eux, pour Cortès, des alliés qui résisteront aux coups de la mauvaise fortune. C’est elle encore qui, par sa finesse, découvre le complot formé par les Cholultèques pour l’extermination des Espagnols, et transforme un désastre certain en un décisif triomphe. C’est elle enfin qui, placée en face de Moteuczoma, jette le doute dans l’esprit du malheureux empereur, le fait hésiter, et prépare la dernière et sanglante victoire des Espagnols. Elle est toute à ces terribles soldats, dont elle partage les croyances et les périls, sans cesser un seul instant de protéger les vaincus, qu’elle veut arracher à leurs superstitions sanguinaires. Si les Espagnols ont son admiration, leurs adversaires ont sa sympathie. Elle n’est du côté des puissans que pour protéger les faibles, elle a l’amour des humbles, la pitié pour ceux qui souffrent, la charité sans borne que commande sa nouvelle foi. Elle est femme, bien femme; adorable par tous les côtés de son être fin, délicat, et pourtant énergique, elle n’aura bien su que quatre choses : aimer, se dévouer, souffrir et pardonner.

Et quel cadre merveilleux pour la naissance, pour le développement de cette passion sincère, digne à ses commencemens des temps chevaleresques où elle s’est produite, que les bords vermeils du golfe mexicain ! Qu’il serait facile à l’imagination de faire intervenir, dans ce milieu luxuriant, de bienfaisantes fées contrariées, de temps à autre, par des enchanteurs jaloux! Lorsque, après les chaleurs épuisantes du jour, le soleil, abandonnant enfin la Terre-Chaude, disparaissait derrière les crêtes à peine visibles de la Cordillère, quelle poésie devait naître avec la brise qui, parfumée, poussait les vagues languissantes sur le sable fin, tandis que les