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des mœurs de sa noblesse, s’est allié le grave cérémonial espagnol. doña Marina, pour être à sa place au milieu de ce luxe, de ces grandeurs, qui n’enlèvent rien à son affabilité, n’a qu’à se souvenir. Mais son bonheur n’est pas dans cette pompe vaine ; il est concentré sur l’enfant qu’elle vient de mettre au monde, que le conquérant a pris dans ses bras et fait baptiser sous le nom de Martin-Cortès. Comme elle est heureuse, rayonnante, la douce femme, de voir si grand, grâce à sa peine, le père de son fils ! L’heure des terribles combats est passée, le sang ne coulera plus ni sur les autels détruits des dieux mexicains, ni sur les champs de bataille toujours hasardeux-La paix va régner dans l’immense empire formé des royaumes de Mexico, de Colhuacan, de Tlacopan, de Méchoacan. des républiques de Tlaxcala, de Chololan, et de Huéxotinco, auxquelles viendront bientôt s’ajouter les Chiapas, le Guatemala, le Yucatan, la Californie, vingt autres provinces.

Doña Marina est heureuse ; les heures sombres de sa jeunesse, de l’esclavage sont loin. Elle a reconquis son rang, elle aime, elle est aimée, elle a un fils! Sa vie, désormais, semble à l’abri des coups de la mauvaise fortune. Elle occupe un point culminant, et comment pourrait-elle choir? La mort, si elle l’eût surprise à cette heure, eût paru l’enlever à une longue félicité. Mais qui donc échappe au malheur, au fumier de Job? Cortès, enivré de gloire, vécut assez longtemps pour se voir méconnu, oublié! doña Marina, avant lui et par lui, devait voir toutes ses joies se transformer en amertumes, tous ses triomphes en désenchantemens. Son amour, dont elle était orgueilleuse, allait soudain devenir criminel et, pour elle, une cause inattendue de désespérance. Cortès était marié, et doña Marina l’ignorait. Elle apprit brusquement que doña Catalina Juarez, femme légitime de celui qu’elle aimait, venait de débarquer à Veracruz et qu’elle accourait pour réclamer et occuper, près du trône conquis par son époux, la place à laquelle elle avait droit.


III.

Cortès, — il l’avait en quelque sorte oublié lui-même, — était marié. Après la conquête de l’île de Cuba par Diego Velasquez, conquête durant laquelle il était devenu, grâce à son courage et à son art d’entraîner les soldats, un des principaux lieutenans de son chef, le jeune officier s’était étroitement lié avec une famille originaire de Grenade du nom de Juarez, famille composée d’une veuve, de quatre jeunes filles et d’un jeune homme. Ce dernier, bien que le pompeux Solis ait fait de lui par la suite un hidalgo, n’était, en réalité, qu’un aventurier dont le bon Las Casas, au langage