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et des semaines les boulevards extérieurs, l’esplanade des Invalides et même le jardin des Tuileries à des nuées de bateleurs et de marchands de macarons, sous prétexte tantôt de célébrer l’anniversaire de la prise de la Bastille, tantôt de faire marcher le commerce et l’industrie. Encore si des dompteurs d’animaux ou des artistes de cirque attiraient seuls la curiosité publique! Mais que dire de ces exhibitions de figures anatomiques ou de phénomènes vivans, dont l’accès est savamment interdit « aux enfans au-dessous de quinze ans? » Les pouvoirs publics qui autorisent ces exhibitions se sont un peu trop relâchés, dans ces dernières années, de leurs devoirs de surveillance, de même qu’en instituant ces fêtes si fréquentes, ils induisent véritablement le peuple en tentation de prodigalité. Sans doute on peut donner bien des explications de ce fait que d’une année à l’autre les versemens à la caisse d’épargne ont baissé de 1,600,000 francs, mais l’abus de ces fêtes pourrait bien y être pour quelque chose.

Parmi les dépenses superflues qui grèvent encore d’un poids plus ou moins lourd le budget de l’ouvrier parisien, il faut compter les dépenses de théâtre. Le goût du théâtre est, en effet, très répandu dans le peuple, et il en est assurément de plus condamnables. A côté du divertissement fort légitime qu’il y vient chercher, c’est une des formes que prend chez lui l’imagination, la curiosité de l’esprit et, pour tout résumer en deux mots, le goût de l’idéal. Pour nous, le théâtre n’est que la représentation plus ou moins exacte, parfois ennoblie, parfois rabaissée de nous-mêmes, du milieu où nous vivons, des passions que nous avons ressenties. Pour l’homme du peuple, c’est tout autre chose ; c’est la révélation d’un monde inconnu et supérieur dont il devine plutôt qu’il ne connaît l’existence et où il n’a jamais pénétré. C’est l’illusion de vivre, pendant quelques heures, au milieu de grands seigneurs et de grandes dames, dont il croit pour de bon que le ton, les mœurs, les élégances lui sont fidèlement représentées. C’est peut-être aussi la satisfaction donnée à ce besoin de justice terrestre qui le tourmente et qui lui fait applaudir avec transport au cinquième acte la punition du traître et le triomphe de la vertu. Le vieux mélodrame de nos pères, de moins en moins apprécié par nos enfans, conserve toujours, en effet, la prédilection du peuple. Il suffit pour s’en convaincre de regarder comment est composée la foule qui remplit les galeries supérieures de nos grands théâtres des boulevards. Si la blouse n’y domine pas, c’est que la blouse, sauf comme vêtement de travail, est rarement portée, mais le bonnet blanc y triomphe et c’est avec des mouchoirs d’indienne qu’on s’essuie les yeux. Ces théâtres qu’il affectionne ne suffisent cependant pas au peuple de Paris. Il n’est si misérable faubourg qui n’ait le sien : Belleville, Montmartre, Montrouge,