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de la femme, et même celles-là qui sont plus spéciales aux classes populaires : la difficulté de la surveillance et une certaine brutalité de mœurs qui, sautant par-dessus les préliminaires, va volontiers droit au fait. Toutes ces causes réunies expliquent que la faute, pour parler le langage du peuple, soit beaucoup plus fréquente dans les classes pauvres que dans les classes riches. Les classes riches préfèrent l’adultère, comme tirant à moins d’ennuyeuses conséquences, et il en est ainsi par tout pays. Mais je voudrais m’arrêter un instant à certaines explications qui sont plus particulièrement françaises, et même parisiennes, parce que ces explications soulèvent d’assez graves problèmes de législation et de morale.

Si ces études arides que je poursuis depuis plusieurs années ont conservé quelques fidèles lecteurs, ils pourront se souvenir que, dans un chapitre sur « la Vie et les salaires à Paris, » j’ai signalé combien était difficile la condition d’un grand nombre d’ouvrières parisiennes, de celles-là surtout qui, n’étant pas assez bien douées ou pas assez instruites pour s’adonner à certains métiers privilégiés, vivent exclusivement du travail de leur aiguille ou d’une profession plus modeste encore. Lorsqu’à Paris le salaire d’une femme ne dépasse pas quarante sous par jour, ou descend même, ainsi que cela arrive trop souvent, jusqu’à trente sous, et que, sur ces trente ou quarante sous, elle doit pourvoir à sa nourriture, à son loyer, à sa toilette, à son chauffage, à ses menues dépenses, elle n’y peut assurément parvenir qu’avec des prodiges d’économie et de sagesse, singulièrement contraires à la nature sur l’heure des dix-huit ans. Lorsqu’on a étudié de près ces difficultés, on comprend très bien cette idée répandue dans la classe populaire « qu’une femme ne peut se tirer d’affaire sans un homme. » Chercher cet homme est donc une des premières et des plus naturelles préoccupations de la jeune fille parisienne que sa condition modeste oblige à vivre du travail de ses doigts, et cela sans tenir compte des instincts les plus légitimes de sa nature qui l’y poussent également.

L’homme n’est pas très difficile à trouver, car il ne manque pas non plus à Paris de garçons qui, pour des raisons peut-être un peu différentes, sont de leur côté en quête de filles. Les occasions de se rencontrer ne manquent pas non plus, dans l’escalier de la maison où l’on demeure tous les deux, dans la rue où se trouve le magasin où l’on travaille, le soir sur les bancs de la promenade où l’on va prendre un peu l’air. Sur cette portion des grands boulevards qui s’étend depuis la Bastille jusqu’aux environs de la Porte-Saint-Martin et qui est bordée dans toute sa longueur de quartiers populaires, vous rencontrerez nombre de ces couples qui montent et descendent bras dessus bras dessous, absorbés dans leur conversation