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des lieux où la nature par le plus librement que dans un bureau de police, et partout, sous des formes et avec des circonstances diverses, je me suis trouvé en présence de cette même réponse. Parmi ces confessions que j’ai provoquées, j’en rapporterai une, dont le drame court et brutal réunit toutes les circonstances qui, dans ces milieux du travail et de la misère, expliquent et excusent la dégradation d’une femme. La malheureuse qui m’a conté son histoire était la fille d’ouvriers rouennais. Le père, paresseux, débauché, ne travaillait que par intervalles et, vivant le plus généralement de droite et de gauche, mangeait au dehors le peu qu’il gagnait. Cependant il rentrait parfois passer quelques mois au logis. A chaque rentrée, la mère devenait grosse ; elle mourut à la peine au neuvième enfant. A seize ans, il avait fallu que la fille aînée commençât la vie d’atelier et enfermât sa jeunesse dans une filature pour un salaire de 30 sous par jour. Point de famille ; la mère morte, le père disparu, les enfans dispersés, l’existence solitaire dans un taudis, et, comme unique perspective d’en sortir, le mariage, que son imagination, pleine des souvenirs de son enfance, lui représentait comme un enfer. Elle était ardente, assez jolie; la nature finit par se révolter, et un samedi de paie, elle dépensa son gain de la semaine à prendre un billet pour Paris, où l’appelait un ouvrier rouennais de sa connaissance. Ensemble ils vécurent pendant trois mois d’une vie où le plaisir tenait plus de place que le travail. du jour, le complice de cette vie sortit et ne rentra point : disparu, introuvable dans ce vaste Paris, il laissait celle qu’il avait appelée sans ressources et sans métier. Pendant quelques mois, elle avait vécu d’une vie d’aventures et de camaraderies successives. Puis, arrêtée un soir sur un banc des boulevards extérieurs, de guerre lasse elle s’était fait inscrire a pour avoir la paix. » Depuis ce jour, elle avait été liée à la débauche sous sa forme la plus asservissante et n’avait guère fait que changer de lieu d’esclavage. Et cependant un jour, à travers cette existence abjecte, un rayon avait lui. Elle s’était attachée de nouveau à un homme, non pas à un de ces vils exploiteurs qui tirent leur subsistance de l’avilissement d’une femme, mais à un ouvrier qui vivait d’un travail régulier. Comment cet attachement avait-il pris naissance entre eux? il ne faut pas demander au cœur l’explication de ses mystères. Pendant un temps assez long, ils avaient caressé ensemble un rêve d’existence honnête et de ménage régulier, à partir du jour où des économies amassées de part et d’autre auraient permis un établissement en commun. Mais la maladie était venue se jeter à la traverse de ces projets. Pour que l’homme qu’elle aimait ne fût pas porté à l’hôpital, la malheureuse créature avait repris sa liberté. Pendant trois mois elle l’avait soigné avec dévoûment jusqu’au jour où la mort avait eu le dessus. Les frais du traitement