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et de se piquer les doigts à coudre des robes de soie, elles rêvent au moyen de s’en procurer. Ce moyen leur est bien connu. Leur enfance n’a pas été environnée, en effet, de toutes les protections dont nous environnons l’innocence de nos filles. Dès l’âge de douze ans elles en ont appris long en rôdant le soir sur les boulevards extérieurs. La corruption qui est entrée dans leur âme par les yeux a continué ensuite son chemin par l’imagination. Les feuilletons des journaux à un sou, qu’elles lisent le soir avec avidité à la lueur d’une chandelle, leur dépeignent une vie de luxe et de débauche facile dont elles ne connaissent pas les revers et dont elles n’entrevoient pas la fin. Les faits divers de ces mêmes journaux leur content avec détails, dans ses moindres épisodes, l’existence de femmes qu’elles savent parties d’aussi bas qu’elles. Pourquoi, à leur tour, ne s’élèveraient-elles pas aussi haut? Elles tentent l’aventure, moitié par laisser-aller et dégoût du travail, moitié par calcul. Pour une dont le triste rêve aura été réalisé, vingt mourront à l’hôpital ou dans un galetas.

D’autres, enfin, sont entraînées par des ardeurs inouïes de plaisir et de perversité précoce. Ceux qui s’indignent, parfois, d’apprendre qu’une mineure a été inscrite sur les registres de la police, ceux-là ne savent pas avec quel cynisme cette inscription a été peut-être réclamée, ou quelles fautes répétées l’ont rendue nécessaire. C’est une triste graine qui pousse sur le pavé des grandes villes que l’enfant dévorée de sensualité, attendant avec impatience l’heure où les hommes voudront d’elle; rebelle à tout, aux corrections comme aux conseils, vouée au vice comme d’autres sont vouées au bien. Celles-là sont des malades d’âme et du corps, issues souvent de parens malades eux-mêmes. Dans d’autres milieux, une hygiène attentive et une éducation sévère auraient peut-être dompté ces tempéramens fougueux et redressé ces instincts pervertis. Mais elles ont été élevées à la grosse morale ; les reproches n’y ont rien fait, encore moins les coups. La nature a suivi sa pente et la chute devenait fatale.

Il ne faut donc pas accepter la misère comme l’explication principale de la prostitution populaire ; mais il faut cependant reconnaître que dans une certaine mesure elle contribue à l’engendrer. Quant aux misères que la prostitution engendre à son tour, elles sont ineffables. Soit que, faisant en échange du pain assuré le sacrifice de leur liberté, elles acceptent l’esclavage sous sa forme la plus honteuse, soit que, demeurant indépendantes et isolées, elles demandent au hasard des rencontres leur subsistance de chaque jour, ces malheureuses font tôt ou tard une expérience des horreurs du vice qui doit souvent leur faire regretter leurs entraînemens