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même jour, About, journaliste, publiciste, économiste, homme à projets, remueur d’affaires autant ou plus que romancier, et député, sénateur aussi lui, ministre, ambassadeur, tout ce que l’on eût voulu, — si d’autres qu’About l’eussent voulu. Et, à mesure que les discours avançaient vers leur fin, l’image de Sandeau, à peine indiquée, reculait, pâlissait, s’effaçait encore, et rentrait timidement dans cette ombre d’où l’on ne l’avait tirée une heure ou deux que pour la plus grande gloire d’About, de M. Léon Say et de M. Rousse. I nunc; allez maintenant, et croyez, ô romanciers, que vous laisserez après vous quelque chose de vous-même, et qu’entre deux plaidoiries ou deux discours d’affaires on se souciera de relire Mademoiselle de la Seiglière ou la Maison de Penarvan! En vérité, Sandeau n’avait-il pas mieux mérité que cela?

Ce n’est pas qu’à notre tour, pour le facile plaisir de contredire un ancien ministre et un ancien bâtonnier, nous voulions enfler ici la voix et surfaire Jules Sandeau. Dans ces intéressantes Études littéraires sur le XIXe siècle que nous signalions tout récemment aux lecteurs de la Revue, le nom même de Jules Sandeau ne se rencontrait point, et nous ne songions pas à nous en étonner; et si M. Emile Faguet avait seulement parlé de Sandeau comme de Balzac ou de George Sand, c’est justement alors que nous lui en aurions marqué quelque surprise. Il faut, en effet, observer les distances. Jules Sandeau n’a point exercé d’influence, ou si discrète et si faible qu’il ne vaut pas la peine d’en parler; non-seulement ses leçons, puisqu’il n’en a point donné, mais ses exemples, qui ne prêchaient point assez éloquemment, ni d’assez haut, ni rien d’assez nouveau, ne lui ont pas fait de disciples ou d’imitateurs ; et l’on peut écrire sans lui l’histoire des idées littéraires au XIXe siècle, parce qu’il ne fut rien moins qu’un inventeur. Le nom de Jules Sandeau n’est attaché qu’à ses œuvres. Mais elles n’en valent pas moins pour cela... L’influence est une chose, la valeur des œuvres en est une autre; et la première n’emporte pas plus la seconde, que la seconde ne mesure la première. C’est ainsi qu’un Voltaire eu son temps a exercé une bien autre influence, bien autrement profonde, bien autrement étendue qu’un Regnard ou qu’un Prévost; — et cependant, avec tout son génie, il n’a laissé ni un roman qui vaille Manon Lescaut, ni une comédie que l’on puisse comparer au Légataire universel. Et je n’irai pas jusqu’à dire que les longs et durables oublis soient l’habituelle rançon des grandes influences; mais il est assez fréquent que les petits chefs-d’œuvre survivent aux grandes influences; et ne serait-ce pas pour cela qu’on les appelle de petits chefs-d’œuvre, parce qu’ils survivent à de plus gros, mais surtout à de plus ambitieux? On ne saurait nier que nous en devions un ou deux à Sandeau.