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comme ce spectacle intéressait vivement sa curiosité d’artiste, comme il sentait qu’il y avait là un moment fugitif du siècle à fixer en quelques traits, il s’empara bonnement du sujet qui passait, pour ainsi dire, à portée de son art. C’est ce que j’appelais tout à l’heure la valeur historique de deux ou trois au moins des romans de Jules Sandeau. Ne fût-ce qu’à titre de documens, comme le Waverley de Walter Scott, par exemple, ou son Rob Roy, Mademoiselle de La Seiglière et la Maison de Penarvan sont des récits assurés de vivre. Mais ils ont aussi d’autres qualités.

Si l’on veut se faire une juste idée du talent de Sandeau, c’est peut-être aujourd’hui la Maison de Penarvan qu’il faut lire. Je n’essaierai pas de l’analyser. Après trente ans, la valeur d’un roman, comme aussi bien d’un drame, est pour ainsi dire partout ailleurs que dans ce que l’analyse en peut exprimer. Rien ne vieillit comme une intrigue, parce rien ne dépend plus de la mode que le choix qu’on en fait. Comme elle a son jargon, chaque génération a ses fables, qu’elle impose à ses romanciers comme à ses auteurs dramatiques. Il y a donc dans la Maison de Penarvan toute une partie romanesque et sentimentale qui a aujourd’hui étrangement vieilli, mais quoi ! n’y en a-t-il pas une aussi qui n’est plus jeune, dans Valentine ou dans la Cousine Bette ? Ce qui est encore jeune et vivant dans le roman de Sandeau, ce sont les caractères, c’est le personnage de Mlle de Penarvan elle-même et de son cousin et mari, le marquis Paul de Penarvan. Celui-ci surtout est vraiment un chef-d’œuvre d’observation délicate et fine. Mais, allant plus loin, j’ajouterai qu’aucun romancier peut-être n’a mieux fait comprendre que Sandeau, dans le personnage de Mlle de Penarvan, ce que c’est que ce sentiment ou cette passion de l’honneur aristocratique dont son héroïne est l’incarnation. Car, de nous dire que cet honneur, comme une autre passion, sacrifierait tout à ses exigences ou à ses préjugés, ce n’est pas là le point ; et j’en dirais bien autant. Mais il faut savoir nous intéresser nous-mêmes à ces préjugés, nous les faire trouver légitimes, puisqu’ils ont eu leurs raisons d’être, nous rendre complices de leurs plus cruelles exigences, et cela sans plaider, sans même, comme l’on dit, avoir l’air d’y toucher, par le seul progrès des événemens, par la seule nécessité des situations ; et, dans la Maison de Penarvan, c’est ce que Sandeau a su faire. Il n’y était pas arrivé tout d’abord. Mademoiselle de Kérouare n’était qu’une esquisse, et une esquisse mal datée, de l’affaire de La Pénissière, au lieu de l’être du temps de la grande guerre. Valcreuse n’était qu’une transposition et une amplification de Mademoiselle de Kérouare. Mais, dans la Maison de Penarvan, tout concordait, tout s’accordait, tout était en sa place, et tout s’aidait à se faire valoir.

Il convient en effet d’ajouter que, comme du moment historique et