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sera rétabli le jour où la séparation laissera à chacun ses droits. Supprimer les points de contact, c’est supprimer les causes de querelle; le terrible embarras de s’aimer ou de se haïr est épargné à ceux qui s’ignorent. L’état se borne à statuer sur les intérêts nationaux que la majorité a droit de régler au nom de tous, et devient étranger aux affaires religieuses, que tout homme doit décider seul et pour soi seul. L’église devient ce que la font ses fidèles, forte ou faible, sans que nul artifice l’empêche de parvenir par la force à la domination ou par la faiblesse à la mort.

Rien de plus logique, de plus équitable, de plus facile en apparence. Mais cette réforme semble simple parce qu’elle suppose résolues deux questions les moins simples du monde : la loi doit-elle et la loi peut-elle être neutre? Le prétendre, c’est décréter une révolution dans les principes même, de gouvernement. Le premier devoir des hommes publics est de favoriser ce qui est utile et de combattre ce qui est nuisible à la société : en matière religieuse, mettront-ils leur conscience à ne pas seconder ce qu’ils jugent bon, à ne pas affaiblir ce qu’ils jugent mauvais ? Ailleurs le dernier mot de la sagesse politique est de prévoir : serait-il ici d’ignorer ? Si les chefs ont la passion du bien public, choisiront-ils pour l’abandonner à elle-même la force la plus capable de troubler et de transformer les peuples? Si, pour mieux laisser les événemens au hasard, ils se sont livrés eux-mêmes au doute et se sont rendus incapables de savoir ce qu’il faut souhaiter ou craindre, quel titre, après être devenus moins hommes, gardent-ils à gouverner les hommes? Car l’homme n’habite pas les sommets glacés de l’indifférence, il vit sur les versans qui penchent vers l’amour ou la haine. Il est fait de passion plus que de pensée, et rien n’offre moins de prise à sa raison et n’émeut davantage son cœur que la foi. Qui donc emploie son esprit à étouffer en soi tout sentiment pour ou contre la religion, et qui, sans disserter, ne conclut pas d’instinct au triomphe ou à la ruine de l’église ? Une loi neutre serait donc une violence à la croyance de la majorité et aux convictions de tous. Un régime contraire au sentiment de ceux pour qui il est fait et de ceux qui le font est-il logique ? Un régime qui vit de sacrifices imposés à tout le monde est-il durable?

Voilà quels problèmes se soulèveront le jour où des hommes d’état voudraient réaliser le rêve fait par quelques philosophes et raconté par quelques rhéteurs. Mais cette tentative est encore à naître. La séparation de l’église et de l’état existe chez plus d’un peuple, l’indifférence de l’état pour l’église n’existe nulle part.

Les premiers qui aient voulu la séparation furent les colons américains. Là elle s’établit comme une conséquence de leur culte et de leur caractère. Avec eux s’était répandue sur le sol l’inépuisable