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de soutenir, sur toute la surface de la France, l’édifice élevé par la lenteur du temps.

Ce passé était, il est vrai, si solide que ses ruines suffiraient à abriter le présent. La séparation ne détruira pas les immenses richesses consacrées par la piété des siècles à la foi catholique. De quelque nom qu’on veuille appeler les droits de l’église sur ces biens, c’est à elle qu’ils étaient destinés. La révolution ne les lui a pris qu’en lui promettant une indemnité. Cette indemnité est le budget des cultes. A défaut de budget, l’église doit recouvrer ses droits primitifs ou recevoir un autre dédommagement. Les amis de la réforme ont-ils la probité de ne pas nier la dette? La reconnaître serait laisser à l’église les moyens de se soutenir et, si l’église reste assurée de vivre, la séparation perd son objet. Pour acquérir à la nation les biens de l’église, les hommes de 1789 avaient promis une indemnité; pour ne pas payer l’indemnité, les hommes d’aujourd’hui proclament que ces biens ont toujours appartenu à la nation. Sous ce prétexte, ils suppriment le budget des cultes, et se réjouissent d’enrichir le peuple par une mesure qui est à la fois une faillite et une confiscation. Encore tout ce qui semble bon à prendre n’est-il pas utile à garder ; laisseront-ils du moins aux fidèles les édifices créés pour le culte, impropres à tout autre usage et qui, nécessaires à l’église, sont sans valeur pour l’état? Il les gardera comme les autres, ces biens auront enfin trouvé leur destination si, stériles aux mains des libres penseurs, ils demeurent soustraits aux catholiques par qui et pour qui ils ont été faits.

Spoliés de leurs droits anciens, ces catholiques recueilleront-ils dans la réforme des droits nouveaux et l’espoir même incertain de rétablir leur culte? Il faut à une religion des prêtres. Nul ne sera empêché par la loi d’embrasser le sacerdoce. Mais il faut à la patrie des soldats, et le jour où le culte cessera d’être un service public, la loi appellera dans l’armée ceux que leur vocation attirait au sacerdoce. Si l’un des recrutemens supprime l’autre, ce sera par la force irresponsable des choses ; si le clergé devient peu nombreux, il sera plus parfait; si l’on n’y pénètre que dégagé du service militaire, et déjà sur le déclin de la vie, on reviendra aux mœurs de la primitive église: prêtre, ne signifie-t-il pas vieillard? Il faut à une religion des ressources. Sera-t-il permis aux catholiques de fonder, par leurs libéralités, un patrimoine à l’église? Si elle obtient le droit d’acquérir, le flot continu des libéralités pieuses enflera sans cesse sa fortune et, comme elle garde ce qu’elle reçoit, une masse sans cesse croissante de richesse sera soustraite à la circulation : sous peine de rétablir la mainmorte, il faut restreindre la quantité de biens que l’église pourra recevoir. Si cette église, avide encore du sol qu’elle a possédé si longtemps, consacrait ses ressources à acquérir des immeubles,