Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui rappelle la bataille de Marius et qui barre une des routes par où l’ennemi aurait pu pénétrer jusqu’à Aix. Il a été envoyé là par Tessé avec toute la cavalerie. Il est visible qu’en confiant ainsi un commandement séparé et non sans importance au comte de Médavy. Tessé a voulu épargner à celui-ci des frottemens trop directs avec M. de Grignan. Un autre lieutenant-général, Bezons, gardait le Rhône de Genève à Lyon. Tessé n’a donc amené avec lui et laissé à Toulon, outre le marquis de Goëbriant, heureusement très sympathique à Saint-Pater, que Dillon, désiré, dit-il, de toute l’infanterie et même de la marine, et qui plus est s’accordant très bien avec Goëbriant, entente qui présage et assure le succès. Il y avait encore, vers les Alpes, Chamarande avec un petit corps, tenant les vallées de Peyrousse et de Saint-Martin, et, plus près de l’ennemi, le chevalier de Mianne, à qui la garde de la Haute-Provence avait été confiée, et qui parvint, à force de peine, à réunir douze cents hommes de milices employés sur le Verdon. Lors de la retraite, le chevalier de Mianne contribua à conserver Trans et plusieurs villages des environs de Draguignan ; mais il est temps de dire ce qu’avait fait Tessé dans Toulon et les mesures que Grignan et lui avaient arrêtées pour sauver le pays.

Au commencement de juillet, Tessé, d’accord en cela avec Lozière d’Astiers, officier du génie, déclarait Toulon intenable, tellement ses fortifications étaient imparfaites et délabrées, tellement le temps paraissait court et les bras faisaient défaut pour les réparer. Le 10 au soir, Tessé écrit de Toulon qu’il a « le couteau dans le cœur de voir dans le désordre et l’abandon une place de cette importance ; il faut des miracles pour la sauver. » Il se complaît, du reste, non sans calcul peut-être, à déprécier d’avance les élémens de défense dont il dispose : on ne saurait compter ni sur la noblesse, ni sur l’esprit de la population. Les paysans désertent au bout de deux jours; d’ailleurs, on n’a pas d’armes à leur distribuer. — Le comte de Broglie a vu à Marseille, il est vrai, quatre mille hommes de milices, des mieux armés et des plus beaux du monde, mais il paraît difficile de les tirer de leur pays et de les pousser vers Toulon. On va même jusqu’à craindre que Marseille se révolte, et l’absence de subordination, l’idée dominante du repos et de l’indépendance, le mélange de nations qui forme le peuple marseillais, permettent de redouter que tout ne soit perdu si l’ennemi se rapprochait. Tessé insiste encore, le 31, sur l’illusion des ministres qui comptent sur les milices : « c’est compter sur une chimère, » et celles de Marseille, les seules qui soient armées, fuiraient au premier coup de canon !