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aussi Belombre, sa bastide de Marseille, qu’elle vient d’embellir et où elle cherche à attirer ses amis. Elle semble heureuse, et cependant cette année est celle où elle passe l’acte de vente de Grignan, et puis elle-même jouira si peu de cette maison et de la verdure intense de Belombre! L’avenir est court devant elle, le terme bien rapproché. Sans doute, à cette heure, elle songe et on la pousse déjà à publier les lettres de sa grand’mère. Cette grande affaire va prendre ses dernières années ; elle ne verra pas même la fin de l’entreprise. Elle en aura toutes les angoisses ; un autre plus avisé en tirera la gloriole et les profits. On voit que nous parlons du chevalier de Perrin, celui auquel, après beaucoup d’hésitations, Mme de Simiane confia le dépôt, jusqu’alors intact entre ses mains, des lettres de Mme de Sévigné et des réponses de Mme de Grignan.

A l’époque où Mme de Simiane prenait possession de sa maison de la rue Saint-Michel, trois éditions clandestines, c’est-à-dire désavouées par la famille et imprimées d’après des copies plus ou moins exactes, avaient paru coup sur coup. C’était, en empruntant ces détails à la notice bibliographique de M. Régnier : l’édition de Troyes, la première en date, 1725 ; celle de Rouen en 1726 ; enfin, celle de La Haye, aussi de 1726. Les deux dernières avaient eu des contrefaçons, dont la plus récente, sans nom de lieu, date de 1733. Les plaintes des intéressés, les réclamations de la parenté, Mme de Simiane blessée au vif et s’épuisant en démarches inutiles auprès du surveillant de la librairie, tout cela est trop connu pour que nous ayons à y insister. Dans ces lettres, les uns admiraient le charme du style, le naturel, la vivacité d’esprit ; mais d’autres recherchaient le côté mordant, les anecdotes, le ridicule jeté sur certains personnages, jadis puissans, maintenant dépréciés comme ayant appartenu à un autre temps et à un régime tombé. Seulement, en l’absence des originaux restés, pour la plupart, aux mains de Mme de Simiane, il est évident que les passages prêtant à la malignité perdaient beaucoup de leur portée, puisqu’on avait la ressource de les tenir pour interpolés. Ce fut justement le jeu et l’adroite manœuvre du chevalier de Perrin, en éveillant et poussant à l’excès les scrupules de Mme de Simiane, de lui suggérer une résolution directement contraire, par les effets qu’elle allait produire, au but qu’elle se proposait avant tout.

Homme très nouveau, fils de Louis Perrin[1], gros marchand, récemment anobli, le chevalier Denis-Marius de Perrin était ainsi nommé parce qu’étant capitaine au régiment de Péquigny, il avait

  1. En se retirant des affaires, il avait acquis un office de secrétaire du roi, qui donnait la noblesse, après avoir bâti, vers 1660, dans le quartier neuf, le long du cours d’Aix, une des premières maisons qui y aient été élevées. (Voir les Rues d’Aix, II, p. 173.)