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En quittant un bout de plaine, où dès huit heures du matin l’ardeur du soleil était intolérable, on pénétrait dans une allée bordée de gigantesques orangers. A quelle époque ont-ils été plantés pour atteindre ainsi la taille des grands arbres? Il eût fait bon s’arrêter là longtemps; mais une odeur désagréable coupait court à l’admiration. D’innombrables oiseaux avaient depuis bien longtemps choisi pour demeure ce feuillage touffu et le remplissaient de leur joyeux babil. Mais les oiseaux ne peuvent pas toujours chanter, la nature a ses droits ; aussi le sol était-il couvert d’une couche épaisse de guano. Plus loin dans les jardins, c’étaient de véritables fourrés, où se mélangeaient, étroitement pressés, des orangers, des figuiers, des grenadiers aux fleurs éclatantes : des vignes s’élançaient follement d’un arbre à l’autre avec leurs grappes presque mûres. Au milieu de ces massifs, montaient comme des colonnes les tiges des palmiers dont les feuilles formaient un nouvel étage de verdure. Au bout de deux jours de repos sous ces frais ombrages, les fatigues de la montagne étaient oubliées, et nous étions prêts à continuer notre route.


III.

La population du royaume de Perse est formée des races les plus diverses. Depuis la frontière russe jusqu’à Koum, ville située entre Téhéran et Ispahan, la langue du peuple est le turc : dans les villages, les femmes et même beaucoup d’hommes n’entendent point le persan. Les habitans présentent d’ailleurs le type turcoman fortement accusé. Plus avant dans le sud, depuis Koum jusqu’à Dehbid et Surmeck, où le Sassanide Bahrem avait construit des châteaux fortifiés pour s’opposer aux invasions touraniennes, la race se modifie. La face est moins large, le nez, quoique relativement court, est mince et de dessin régulier. C’est par le mélange des élémens turcs et persans que s’est constituée cette race. Ces métis se distinguent eux-mêmes par le nom d’Hadjemi. On en rencontre dans toutes les parties du royaume ; car le pouvoir est entre leurs mains. C’est parmi eux que se recrutent les gouverneurs, les fonctionnaires avec leur cortège de cliens, et presque tous les soldats de l’armée. Ils s’établissent dans les provinces et vivent aux dépens de la population : les soldats volent au bazar ; les gouvernans, par intimidation et par tous les moyens que leur suggère une imagination prodigieusement féconde en intrigues, s’approprient la fortune de ceux qu’ils ont mission d’administrer.

Plus au sud encore, surtout lorsqu’on a dépassé Meched-y-Maurghab et atteint Persépolis, on se trouve en plein pays aryen. Les hommes, coiffés de la haute mitre de feutre, sont moins trapus que