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comme du plus dangereux démagogue, le petit peuple, au contraire, avait pour ce vieillard si ardent, si âpre dans la lutte politique, une sorte d’adoration. Son voyage fut un triomphe continuel ; à toutes les stations l’attendait une réception enthousiaste, à toutes les stations il remerciait par un discours. Le thème était invariable : lord Salisbury écrasait l’Irlande sous l’oppression ; lord Carnarvon avait promis l’indépendance législative à M. Parnell; lord Salisbury connaissait parfaitement les engagemens pris par son lieutenant; lui-même, M. Gladstone, avait offert son appui aux conservateurs s’ils voulaient se montrer justes, humains pour l’Irlande ; mais le 26 janvier dernier, lord Salisbury avait décidément opté pour l’emploi de la force, et c’est alors que M. Gladstone avait préparé son bill de conciliation. Vainement lord Carnavon et lord Salisbury, dans la presse ou dans les réunions d’électeurs, démentaient ces affirmations de M. Gladstone. Celui-ci ne prenait aucun souci de leurs dénégations, continuant à promener par toute l’Angleterre ces imputations personnelles qui lui tenaient si commodément lieu d’argumens plus techniques. A Edimbourg, toute la population l’attendait à la gare ou sur le chemin de l’hôtel. Il prononça un grand discours le 18, un discours non moins grand le 21 ; le 22, il alla porter l’évangile du libéralisme gladstonien à Glascow. Le 25, rentré en Angleterre, le jour même où le parlement était officiellement dissous, il harangua les électeurs de Manchester. Là, une pensée triste l’obsède, il est au milieu des électeurs de son vieil ami, M. Bright, qui l’avait abandonné, lui aussi. Aucune perte, dit-il à ses auditeurs, ne lui avait été plus sensible : « Jamais je ne me ferai le critique de John Bright, dont je révère l’intégrité, dont j’aime le caractère et qui a rendu à son pays des services qui ne peuvent être oubliés. » M. Bright répondit mal à ces témoignages d’affection. Il ne pouvait pardonner à M. Gladstone d’avoir mis en péril l’unité de la patrie, et il en voulait à toute cette foule de partisans aveugles qui suivaient leur chef sans se permettre une réflexion. Parlant lui-même quelques jours plus tard à Manchester, il comparait les libéraux gladstoniens aux touristes que l’agence Cook promène par monts et par vaux, et qui se sentent si heureux d’être personnellement conduits, de n’avoir à s’occuper de rien. Le 28, M. Gladstone était à Liverpool. C’est là qu’il lança une phrase malheureuse, qui lui fît tort auprès des classes moyennes et des esprits modérés, par le grand retentissement qu’elle eut au début même de la période électorale : « Je sais, dit-il, que dans cette question du home rule, j’ai contre moi les classes, mais je sais aussi que j’ai pour moi les masses. D’un côté, les ducs, les squires, les ministres de l’église établie, les gens en place, les landlords, etc. ; de l’autre, le peuple et aussi des personnes appartenant