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en couvrant de railleries et d’injures les fonctionnaires anglais de Dublin, qu’il n’y avait qu’un gouvernement régulier et légal en Angleterre, celui de la Ligue nationale, et qu’ils n’avaient rien à craindre désormais de la bande exotique qui avait prétendu jusqu’alors entraver l’action de ce gouvernement, qu’avant un an M. Parnell serait premier ministre de l’Irlande, que la police serait alors à ses ordres, et qu’on se souviendrait des landlords et de leurs agens qui avaient obligé leurs tenanciers, en refusant de consentir aux réductions demandées, d’appliquer le plan de campagne.

Nous avons dit que le cabinet Salisbury, après plusieurs conseils tenus à la fin de novembre, s’était décidé à agir. M. Dillon est poursuivi, M. O’Brien le sera sans doute aussi, des meetings ont été interdits ; à Cork, il y a eu bagarre entre la foule et la police. Mais l’action de la loi régulière est lente en Irlande, et le jury prononce, on le sait, les acquittemens les plus scandaleux. Bien que le mal fait par les prédications antisociales des chefs de la Ligue n’ait pas encore pris les proportions que l’on pouvait redouter, bien que l’Irlande soit encore assez tranquille en général, et que le non-paiement des rentes n’y apparaisse jusqu’à présent qu’à l’état d’exception sur quelque grands domaines, le gouvernement conservateur aura, dans quelques semaines, à décider s’il lui faut ou non recourir à de nouvelles lois d’exception[1]. C’est là ce que veulent les chefs de la ligue. C’est là aussi ce qu’espèrent les libéraux qui ont suivi M. Gladstone dans son évolution vers le home-rule. Ils n’osent pas se prononcer sur le caractère du mouvement qui se développe en Irlande, mais ils n’ont pas assez de railleries pour ce gouvernement tory qui prétendait se faire radical afin de mieux tromper son monde et promettait de maintenir l’ordre en Irlande avec les lois ordinaires. Les libéraux gladstoniens triompheront si le gouvernement est réduit à demander au parlement des mesures spéciales pour l’Irlande, mais leur triomphe sera tout platonique, si l’on doit prendre au sérieux l’imposante manifestation, qui a eu lieu le 7 décembre, des sentimens des libéraux unionistes au sujet de la situation en Irlande et des devoirs du nouveau groupe à l’égard du gouvernement tory qu’il a aidé à constituer.

Le 7 décembre, en effet, se sont réunis en grand nombre à

  1. Le 16 décembre, MM. Dillon et O’Brien ont été arrêtés au moment où ils recevaient eux-mêmes les fermages des tenanciers de lord Clanricarde. La Gazette officielle de Dublin a publié, le 18, une proclamation du gouvernement de l’Irlande déclarant que le mouvement agraire, appelé « plan de campagne, » est une conspiration illégale et criminelle et que quiconque y prendra part s’exposera à des poursuites. Des mandats d’arrêt ont été lancés contre quelques-uns des membres irlandais de la chambre des communes. Le gouvernement anglais parait donc décidé À engager résolument la lutte sans attendre la réunion du parlement.