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ma tante, examinez un peu cette écriture; prenez votre binocle, poursuivit il en mettant la signature de miss Ethel sous les yeux de Mlle d’Aumel ; étudions-en ensemble les signes graphologiques. Moi, j’y vois la sensibilité, la constance, la force d’âme! Et vous?

— Pour ma part, je n’y vois rien de tout cela ; mais je reconnais que l’écriture est harmonique et élégante.

La tante et le neveu se chamaillèrent encore pendant quelque temps, puis la pendule, en sonnant neuf heures, fit sursauter Mlle d’Aumel.

— Comment, déjà si tard! fait-elle en se levant, et l’arrachage de mes pommes de terre tardives auquel tu dois vaquer demain matin dans la pièce du Chêne-Capitaine?

— Soyez tranquille, ma déesse, sur le sort de vos solanées. Il est probable que je ne fermerai pas l’œil de la nuit ; celui qui fait le guet n’est jamais pris.

— Crois moi, tu feras mieux de dormir; je préfère que tu rêves endormi plutôt qu’éveillé. Bonsoir, grand écervelé. Bonne nuit!


II.

Le surlendemain, vers quatre heures de l’après-midi, nous retrouvons les journaliers assis sur le revers d’un fossé, parlant, buvant, mangeant ; ils causent de l’événement qui les a tenus sur pied toute la nuit. Bientôt ils signalent à leur maître, débouchant sur la route qui côtoie la forêt de Marly, les Anglais de l’avant-veille. Mais Didier les avait aperçus le premier et il les suivait de l’œil depuis quelque temps déjà. Peu après, miss Ethel fait sauter à son cheval la barrière qui sert de clôture au champ du Chêne-Capitaine. Son père pique des deux et la suit, puis ils ralentissent l’allure et s’approchent du groupe de paysans. À ce moment, on entend la fanfare d’un régiment de cavalerie qui traverse le village de La Bretêche.

Didier, chapeau bas, s’avance vers les touristes, il leur dit avec une cordialité remplie de déférence :

— Voudriez-vous me faire l’honneur de partager notre repas champêtre? La provende est modeste, mais j’offre ce que j’ai.

Le dean, après avoir consulté sa fille du regard, accepte sans faire de façons.

— Selon l’écriture, dit-il, il vaut mieux être invité avec une affection sincère à manger des herbes, que le veau gras lorsqu’on est haï.

— j’ai des fruits, j’ai du lait, reprend Didier, bien qu’embarrassé pour en offrir aux promeneurs, car les travaux des champs ne sauraient expliquer ni la teinte noire ni les meurtrissures de ses