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sur la petite troupe l’éclat d’une lumière perfide. bien loin de reculer, les braves gens prirent le pas de course sous une grêle de balles; ceux qui ne furent pas touchés arrivèrent jusqu’à la porte, dont la voûte leur servit d’abri. Ils trouvèrent les vantaux traversés par les boulets, arrachés de leurs gonds, inclinés, mais retenus par une saillie du mur; au-delà, un passage oblique était fermé par une seconde porte, parfaitement intacte, parce que les canons français ne pouvaient pas avoir de vue sur elle. Après le rapport que lui fit, au retour de cette périlleuse reconnaissance, le capitaine Hackett, le maréchal décida pour le lendemain soir une attaque de vive force. Le lendemain, l’intendance allait faire sa dernière distribution ; l’artillerie allait lancer ses derniers boulets ; il ne lui resterait plus qu’un petit nombre d’obus et de boîtes à mitraille. Si la tentative échouait, c’était peut-être un désastre ; c’était fatalement, au moins, la retraite.

Le 23, tandis que la canonnade recommençait au Mansoura dès le point du jour, la brigade du Coudiat-Aty avait à repousser en même temps une sortie de Ben-Aîssa et une attaque de la cavalerie d’Ahmed sur le revers de la position. Celle-ci fut la plus sérieuse; il fallut engager contre elle toutes les troupes, moins le bataillon d’Afrique, dont les tirailleurs, embusqués derrière de petits parapets en pierre sèche, suffirent à repousser la sortie. Les cavaliers arabes, plus tenaces, ne cédèrent, longtemps après, qu’à une charge décisive des chasseurs. Rentrés au bivouac, les soldats reçurent une maigre ration de riz et d’eau-de-vie ; c’était le seul envoi qui leur eût été fait depuis trois jours; il n’y en eut plus d’autre; on vivait des chevaux morts et de ce qui pouvait rester au fond des sachets de réserve portés depuis Bône dans les sacs. Le beau temps était revenu ; le Roummel commençait à décroître. Vers trois heures, un carabinier du 2e léger, dont la compagnie avait été rappelée sur le Mansoura, traversa la rivière à la nage, apportant au général de Rigny, dans un morceau de toile goudronnée roulé autour de sa tête, l’ordre d’attaquer à minuit la porte de Coudiat-Aty, pendant qu’à la même heure le maréchal ferait attaquer la porte d’El-Kantara. En fait, le seul front accessible qui se développait en face du Coudiat-Aty n’avait pas moins de trois portes : Bab-el-Djedid, Bab-el-Raïba et Bab-el-Djabia ; c’était la seconde que l’assaillant avait particulièrement pour objectif. Le commandant Changarnier, à qui le général de Rigny confia d’abord l’opération, se mit en devoir de reconnaître d’aussi près et, aussi exactement que possible les abords de la place. Bab-el-Raïba était précédée d’un faubourg ou plutôt d’une rue bordée de ces petites boutiques arabes qui n’ont pas plus de trois ou quatre pieds de profondeur. Les maisons dans lesquelles étaient ménagées ces