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où le vrai et le faux, le juste et l’injuste, riant l’un de l’autre, se donnaient malicieusement la main.

On n’alla pas plus loin dans cette voie : on vit enfin que l’esprit ne suffit pas pour apprécier une nation selon son mérite, que des faits isolés, même vrais, ne doivent pas être généralisés ni retomber, s’ils sont blâmables, sur un peuple tout entier. On pensa qu’il fallait s’enquérir. On fit cette enquête, et la Revue des Deux Mondes eut l’honneur de présenter la Grèce sous son aspect véritable, dans des études dont la Grèce lui a su gré. Il est certain que les intrigues politiques qu’on lui avait tant reprochées ne se passaient que dans un monde très restreint, mais très en vue. Quand on pénétra plus avant, au cœur même de la nation, on découvrit une société active, intelligente, paisible, en progrès rapide et faisant les plus louables efforts pour se mettre au niveau des sociétés européennes.

Il y a de cela une quinzaine d’années. Aujourd’hui, de grands changemens peuvent être constatés : pour peu qu’on y regarde, on a devant soi une société régulièrement organisée, sur le modèle des sociétés occidentales les plus avancées en civilisation. Si l’on veut pénétrer plus avant dans son mécanisme, elle-même vous en offre les moyens ; car elle a pris soin, depuis un certain nombre d’années, de dresser des statistiques et d’en publier officiellement les chiffres. Ces statistiques sont très bien tenues et d’autant plus exactes qu’elles servent de base et de texte aux projets de loi dans la chambre et de règle aux mesures administratives dans tout le royaume. Ainsi nos lecteurs seront d’accord avec nous que le temps des jugemens passionnés est écoulé : il n’y a plus de héros suscitant notre enthousiasme ; d’autre part, la nation grecque, en se fortifiant et en vivant de sa propre vie, s’est affranchie des compétitions diplomatiques. Si nous voulons donner d’elle une image sincère et ressemblante, ce n’est point sur la poésie ou le roman, mais sur les faits réels que nous devons appuyer nos jugemens. C’est ce que nous allons tenter.


I.

En 1830, après que l’armée française eut débarrassé le Péloponèse des derniers soldats musulmans et rendu la Grèce à elle-même, le sol était inculte et dévasté ; les villes, si ce nom est applicable ici, les villages, les maisons isolées, étaient ravagés. Sous les Turcs on n’avait point exécuté de travaux publics. Les ports, garnis de beaux quais, de cales et de magasins par les anciens Grecs, étaient redevenus des plages naturelles ; le service des bateaux s’y faisait au moyen de petites jetées en bois mal entretenues. En 1847 et