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L’instruction et le temps peuvent opérer ce prodige, mais, en attendant, nos campagnes se dépeuplent, les bras manquent à l’agriculture, et, tandis que l’encombrement et la misère vont sans cesse croissant dans les grandes villes, ce gouffre de l’espèce humaine, comme l’appelait J.-J. Rousseau, c’est à l’hygiène qu’il appartient de pallier les inconvéniens de ces concentrations dangereuses. Elle y est déjà parvenue en partie, et c’est merveille de voir des agglomérations de plusieurs millions d’hommes se former dans l’étroite enceinte d’une ville, de voir une population arriver à l’effrayante densité de celle de Paris, qui compte 29,000 habitans par kilomètre carré, sans être décimée par les épidémies, sans que la mortalité s’élève sensiblement au-dessus de la moyenne du pays[1].

Avant d’atteindre ce résultat, les sociétés ont passé par de bien rudes épreuves. C’est par une série de conquêtes successives qu’elles sont arrivées à la salubrité relative dont elles jouissent aujourd’hui, et chaque pas fait dans cette voie a été la conséquence d’un progrès de la civilisation. Pour se rendre compte de cette évolution hygiénique, il est indispensable de retourner en arrière, de voir comment les villes se sont formées, et d’assister aux transformations qu’elles ont subies. Il est inutile pour cela de remonter aux temps préhistoriques et aux cités lacustres, il suffit de prendre nos villes de France telles que le moyen âge nous les a léguées ; c’est par cet examen rapide que je vais commencer.


I.

Les nations récemment constituées, comme les États-Unis et les colonies australiennes, se sont installées sur un sol vierge où rien ne gênait leur expansion. Elles ont profité, en naissant, de toutes les conquêtes du passé et en ont fait l’application à la construction de leurs villes ; mais les pays comme la France ont dû subir l’évolution laborieuse des temps. Leurs cités ont vu les siècles passer sur elles et leur enlever peu à peu leur caractère primitif. Cette transformation a été lente, laborieuse et n’a pu se terminer encore dans un grand nombre d’entre elles. On se rend compte de la difficulté de cette œuvre, lorsqu’on réfléchit aux entraves qu’elle a rencontrées.

La plupart de nos villes remontent à une époque où le souci de

  1. La mortalité de la France entière a été de 22.9 au dernier recensement, et celle de Paris, de 26.2, pour 1,000 habitans.