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ville et le bien-être des habitans; mais il ne pouvait pas soupçonner l’importance hygiénique des mesures qu’il faisait exécuter. Personne alors ne connaissait les causes des épidémies formidables qui ravageaient les populations. On les attribuait à la colère du ciel et on les combattait par la prière. Nous savons aujourd’hui qu’elles étaient le résultat inévitable des déplorables conditions hygiéniques dans lesquelles on vivait alors.

Tous les fléaux populaires sont des maladies infectieuses qu’alimentent la misère, la malpropreté et l’incurie. A l’époque à laquelle nous nous reportons, elles se succédaient presque sans relâche. Il y en a dont nous ne savons plus que les noms, mais ces noms-là suffisent pour donner le frisson. C’est la grande épidémie gangreneuse du moyen âge qui s’appelait le feu sacré, le mal des ardens, le feu Saint-Marcel, le feu d’enfer. C’est la peste, qui, après être apparue au moyen âge et avoir fait 100 millions de victimes en cinquante-deux ans, est revenue après quelques siècles de répit et a désolé l’Europe sans trêve ni merci, jusqu’à la formidable explosion du XIVe siècle qui sembla devoir porter le dernier coup au genre humain. Celle-là, on l’appelait la grande pente, la mort dense, la mort noire, ou tout simplement la mort. Les gens du monde la connaissent surtout sous le nom de peste de Florence.

Partie du nord de la Chine, d’une contrée qui s’est appelée le Cathay jusqu’au milieu du XVIIe siècle, la peste noire dévasta en quatre ans toute la terre connue. On porte le nombre de ses victimes à 77 millions, dont 40 pour l’Europe. Les grandes villes d’Italie dont je parlais tout à l’heure furent presque dépeuplées. Florence, qui a donné son nom à cette épidémie, perdit, s’il faut en croire Boccace, 100,000 de ses habitans du mois d’avril au mois de juillet 1348. Gênes eut 40,000 morts, Naples en compta 60,000 et Venise 70,000. Quatre-vingts familles patriciennes furent éteintes d’un seul coup dans la ville des doges, et les membres du grand-collège se trouvèrent réduits de 1,250 à 380. Je ne parle pas de la suette, qui a fait tant de ravages en Angleterre au commencement du XVe et du XVIe siècle, de la lèpre, qui couvrit l’Europe au temps des croisades, parce que ces maladies ne font pas grande figure à côté de la peste noire.

De ces fléaux, terreur des temps passés, il ne nous reste plus qu’un souvenir qui s’efface tous les jours de la mémoire des hommes. Les uns ont disparu comme la maladie gangreneuse du moyen âge; on ne sait même plus au juste ce que c’était. D’autres, comme la suette, se sont tellement atténuées qu’on les considère comme une curiosité lorsqu’il s’en produit quelques cas sur un point du territoire. Enfin, la peste, dont le nom seul faisait jadis