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plus dangereux que la population est plus nombreuse et plus dense. Dans les grands centres, ce sont quelquefois des rues tout entières, de vieux quartiers, qui font tache au milieu des constructions salubres et des rues bien pavées de la ville nouvelle. Les arrondissemens excentriques de Paris en renferment encore un assez grand nombre, bien qu’on en ait détruit quelques-uns. La commission des logemens insalubres nous a débarrassés de la cité des Kroumirs, à la suite d’un rapport remarquable du docteur Dumesnil; mais il nous en reste encore d’autres à démolir.

La cité des Kroumirs, à laquelle on avait donné ce nom à l’époque de l’expédition de Tunisie, probablement parce qu’elle ressemblait à un campement de sauvages, la cité des Kroumirs réalisait le summum de ce que la fantaisie peut atteindre dans l’insalubre et l’immonde. C’était un terrain de 150 mètres sur 30 que l’Assistance publique affermait à un locataire principal. Celui-ci le sous-louait, au mètre carré, à des gens sans domicile, avec pleine et entière liberté de s’y construire une demeure à leur guise. Ces sous-locataires avaient rarement recours aux entrepreneurs pour l’édification de leurs domiciles. Ils allaient, la nuit, enlever aux maisons en démolition des plâtras, des planches pourries, de vieux volets hors de service, des bouts de tuyaux de poêle abandonnés sur la voie publique; ils se procuraient des lambeaux de carton bitumé pour la toiture et, à l’aide de ces matériaux, ils construisaient leurs baraques. — Il y en avait une trentaine de chaque côté du long cloaque rempli de boue fétide qui représentait la rue principale de cette étrange cité. Les voitures des chiffonniers remuaient incessamment cette fange. Dans les petites cours intermédiaires, les animaux domestiques circulaient au milieu des dépôts d’ordures de toute espèce et vivaient côte à côte avec les Kroumirs. L’infection était telle que les habitans de la cité Doré eux-mêmes se plaignirent du voisinage. Ils ont eu gain de cause et, maintenant, leur cité reste comme le type le mieux réussi d’une agglomération insalubre et comme une preuve de l’insuffisance de nos lois qui ne permettent pas de la faire disparaître. Espérons que celle de M. Nadaud sera prochainement votée et qu’elle débarrassera le XIe arrondissement de ce dédale de ruelles et d’impasses sans air et sans soleil, de ce labyrinthe de masures en ruines, de baraques en bois, en terre, en torchis, où grouille tout un monde de chiffonniers et d’industriels de même sorte. On pourra s’occuper alors des autres repaires d’insalubrité que la ville de Paris contient encore: de la cité des Singes, de celle des Bleuets, des ruelles qui entourent l’Hôtel de Ville et de la rue Sainte-Marguerite, qui a été le point de départ de toutes les épidémies récentes. Le conseil municipal a voté du reste, il y a quelques mois, l’allocation nécessaire pour l’élargir, en démolissant les maisons de tout un côté.