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religion. Si l’on admet, au contraire, qu’il n’y a pas nécessairement mystère partout où il n’y a pas connaissance adéquate de l’objet, on reconnaîtra que ni l’âme, ni Dieu même ne sont des mystères. De l’une ni de l’autre, en effet, nous ne connaissons l’essence; mais les propriétés de l’âme ne nous sont pas plus cachées que celles de la matière, et, quant à Dieu, rien ne nous est plus compréhensible que ses attributs.

On voit la conclusion : les vérités révélées ne sont pas d’un autre ordre que celles de la science ou de la philosophie. De part et d’autre, il y a ou il n’y a pas mystère selon le sens qu’on attache à ce mot. Partant la révélation est inutile, car tout ce qu’elle enseigne de véritable, la raison avait qualité pour le découvrir, et le reste ne compte pas.

Toland, il est vrai, faisait encore la part assez belle à cette religion dépouillée de mystère, puisqu’il admet comme rationnellement évidentes ou démontrées l’existence de l’âme, celle de Dieu et de ses attributs. Mais la raison pourra devenir plus exigeante et resserrer le cercle de ses affirmations. Au fond, comme le remarque finement M. Leslie Stephen, Toland allait contre son but. Il voulait exterminer de la religion l’inconcevable et la ramener à la mesure de la raison. Mais si l’existence de Dieu n’est pas plus mystérieuse que celle d’un brin d’herbe, si rien ne nous est plus clair que ses attributs, où donc commencera l’obscurité? La théologie devient aussi certaine que les mathématiques ; tout ce qui peut être pensé sans contradiction présentera un caractère, une forme d’évidence; l’esprit ne sera pas plus embarrassé de concilier la toute-puissance divine et la liberté humaine que d’affirmer un rapport d’identité entre deux fois deux et quatre. Dès lors, la religion révélée n’a plus rien à craindre d’une raison aussi complaisante. Quel est le dogme dont elle ne pourra dire qu’il n’est pas mystérieux, à la condition que l’énoncé n’en soit pas contradictoire? La Trinité, par exemple, n’est pas plus difficile à croire que l’existence d’un caillou.

Les intentions de Toland n’en devaient pas moins paraître diaboliques aux défenseurs intransigeans de l’orthodoxie. Sans parler de Norris, le malebranchiste anglais, qui écrivit contre Toland un livre intitulé : Account of Reason and Truth, Peter Browne signale, à grand renfort d’injures, les effroyables conséquences auxquelles devait conduire, selon lui, le rationalisme de Christianity not mysterious. Si la religion est fondée sur la raison, l’autorité politique ne saurait avoir d’autre base, et que devient alors le droit divin des rois? Suit un appel au bras séculier qui dispenserait Browne d’une plus longue réfutation, car « la tolérance, écrit-il, n’est pas faite pour le blasphème et le sacrilège ; » il ne demanderait pas mieux que de remettre Toland aux mains des magistrats, « non qu’il y soit poussé par quelque emportement de passion, mais parce qu’il s’inspire