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pays. J’en voudrais seulement tirer un enseignement et une conclusion.

Le déisme se donne comme une théologie uniquement fondée sur la raison. Malheureusement il ne nous dit pas ce qu’il entend par la raison. Je ne connais pas de mot sur le sens duquel on soit moins d’accord et qui ait plus besoin d’être rigoureusement défini. Pour le psychologue, la raison est cette faculté de l’intelligence qui nous fait connaître des vérités ou des principes nécessaires, c’est-à-dire dont le contraire implique contradiction. À ce compte, il n’y aurait proprement qu’une vérité rationnelle, savoir le principe d’identité, dont le principe de contradiction n’est qu’une autre expression, sous forme négative : ce qui est est ; la même chose ne peut pas à la fois être et n’être pas dans le même temps et sous le même rapport. Voit-on quelle théologie on peut édifier sur des vérités aussi élémentaires? La raison, prise en ce sens, est la plus pauvre des facultés humaines; elle n’est que l’absence de la déraison ; elle nous empêche d’être absurdes, elle ne nous apprend rien.

On ajoute, il est vrai, que la raison est aussi la faculté de former des jugemens synthétiques a priori, tels que celui-ci : tout ce qui commence d’exister a une cause ; qu’elle s’élève nécessairement de là à la conception d’une cause première, et que la cause première c’est Dieu même. Par le plus simple mouvement dialectique, a raison atteindrait Dieu. — Mais alors les difficultés commencent. Des hommes qui ne sont pas déraisonnables, Hume, par exemple, et Stuart-Mill, ont fait la critique de l’idée de cause et du principe de causalité; ils ont nié qu’i s eussent les caractères de nécessité, d’universalité qu’on leur attribue : ils ont nié surtout qu’ils aient quelque valeur et quelque légitimité en dehors des limites de l’expérience. Et voilà le déiste rationaliste, qui prétend ne s’en fier qu’aux lumières infaillibles de la raison, arrêté dès son premier pas aux épines d’une discussion qui n’est pas près de finir.

On dit encore que la raison nous oblige à conclure de l’ordre universel à l’existence d’une intelligence ordonnatrice. — Ce n’est là qu’une application particulière du principe de causalité, et la conclusion n’est valable que dans la mesure où le principe lui-même est légitime. Et, d’ailleurs, cet ordre universel ne serait-il pas l’effet d’une aveugle nécessité? Qui sait si la matière éternelle n’a pas pu produire le cosmos par la seule vertu de ses propriétés et de son mouvement essentiels, dans le cours infini de son évolution? Depuis Lucrèce jusqu’à Spencer, l’argument des causes finales n’en est plus à compter ses adversaires qu’il serait puéril de taxer d’insanité.

On dit enfin que la raison connaît et affirme directement l’existence