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Les catholiques et les progressistes le soupçonnent de vouloir remanier la charte impériale qu’il a faite lui-même et qui lui a coûté tant de veilles et de sueurs; il pense sérieusement, dit-on, à supprimer le Reichstag, à le remplacer par une délégation des parlemens des états confédérés. «Vous nous aviez donné jadis la liberté du commerce, lui disait M. Richter, vous nous l’avez ôtée. Vous avez fait des lois pour protéger l’état contre les empiétemens de l’église, et vous retirez ces lois l’une après l’autre. Vous nous aviez donné le suffrage universel et le scrutin secret, et vous projetez de nous les reprendre. Vous êtes comme Saturne un de ces pères qui dévorent leurs enfans. » Le Reichstag est la représentation vivante de l’unité de l’Allemagne ; quoi qu’on en dise, M. de Bismarck n’aura garde d’y toucher. Mais toutes les fois qu’une assemblée se permettra d’avoir une volonté propre et de se constituer juge des grands intérêts du pays, il lui dira : « Qui êtes-vous pour nous juger et quelle autorité a votre verdict ? Vous n’avez jamais donné à mon cœur aucune joie ni aucune lumière à mon esprit. Qui êtes-vous pour critiquer nos réformes économiques ? Ne sommes-nous pas plus intéressés que vous à la prospérité de l’Allemagne ? Qui êtes-vous pour amender des projets de loi approuvés par le grand état-major? Où sont vos épaulettes? » On a dit que la défiance est l’âme du gouvernement constitutionnel. La défiance parlementaire est aux yeux de M. de Bismarck le péché contre le Saint-Esprit, le seul qui ne se puisse pardonner.

Ses ennemis l’accusent encore de n’avoir dissous le Reichstag que parce qu’il désespérait de lui faire voter les monopoles de l’alcool et du tabac qu’il juge nécessaires à la prospérité de l’empire. M. de Bismarck a décidé depuis longtemps que celui qui donne est tôt ou tard le maître de celui qui reçoit, que l’empire allemand ne sera définitivement fondé que le jour où il aura conquis à jamais son indépendance financière et disposera de ressources assez abondantes pour pouvoir se passer des subsides que lui allouent chaque année les états confédérés : après avoir été à leur charge, il leur accordera à son tour des subventions, des primes de fidélité ; après avoir vécu d’aumônes, il deviendra le grand dispensateur des grâces et des revenus. — « Le chancelier de l’empire, disait M. Richter dans la séance du 13 janvier, considère le Reichstag comme une machine qui doit travailler sans frottemens à lui procurer tout l’argent dont il prétend avoir besoin. Un gouvernement absolu n’oserait prendre sur sa responsabilité l’accroissement indéfini des charges publiques ; il se fait couvrir par les représentans du peuple afin que tout l’odieux de ses mesures retombe sur eux. Vous voulez de l’argent, c’est pour cela que vous pensez à nous dissoudre. Il en fut de même après la dissolution de 1878; la loi contre les socialistes ne fut qu’un prétexte. Le monopole de l’alcool, le