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notre administration, une administration toute spéciale, est installée dans la régence ; elle ne nous coûte rien et elle a triplé les revenus du pays ; elle a trouvé le désordre, la corruption, des procès, des dettes, une population diminuée de moitié par la disette et les exactions, aujourd’hui elle a entrepris de grands travaux publics, rappelé les émigrés, dégrevé les impôts, payé des indemnités, son budget se solde chaque année par des excédens. Bien plus, en prévision d’une mauvaise récolte et pour ne point arrêter sa marche en avant, elle a constitué un fonds de réserve qui représente une année de recettes économisées ; une année d’avances ! Quel état n’envierait pas cette situation ? — La Tunisie nous récompense du désintéressement avec lequel nous avons civilisé l’Algérie.

Ce résultat n’est pas dû au hasard. — Sans doute, il ne vient à l’idée de personne de comparer les difficultés qui nous attendaient quand pour la première fois nous mîmes le pied dans les états barbaresques, et celles que cinquante ans plus tard nous rencontrâmes en pénétrant par nos routes et nos chemins de fer de la province de Constantine chez notre pacifique voisin de Tunisie : le compte-rendu militaire de cette dernière expédition tient en quelques pages ; si nous avions purement et simplement annexé la régence à l’Algérie, nous n’aurions qu’un chapitre de plus à ajouter à l’histoire de notre colonie, et un chapitre des moins intéressans, mais nous avons inauguré un système nouveau, nous avons tenté l’expérience du protectorat. C’est cette expérience qui a réussi ; par quels moyens? Au prix de quels efforts ? En dépit de quelles complications ? — Il est utile, aujourd’hui où nous sommes engagés dans plusieurs entreprises lointaines, d’en avoir au moins une idée.

D’une façon générale, on sait que le gouvernement du protectorat laisse subsister l’administration du pays que nous occupons, la fortifie et la contrôle ; il conserve, autant que possible, ce qui ne saurait être remplacé à peu de frais et il ne remplace que lentement. Une vieille administration boiteuse marche encore mieux qu’une administration créée de la veille ; un corps habitué à ses infirmités, soumis à un régime sévère, fournit plus de travail utile que celui d’un nouveau-né. Ainsi nous n’avons pas amené à la suite de nos troupes une armée de fonctionnaires, nous nous sommes contentés d’une administration qui savait faire rentrer les impôts. — Si simplifiée que fût ainsi notre installation dans la régence, elle n’en devait pas moins bouleverser bien des usages, décevoir bien des espérances, menacer bien des intérêts. Par quels ménagemens, quelles exécutions hardies sommes-nous parvenus si vite à mener à bien une tâche aussi délicate ; comment avons-nous eu raison du fanatisme et de la défiance des Arabes, des résistances des étrangers, des exigences de quelques Français appuyés par une opinion publique