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coûteuse, mais non pas la moins délicate : le contrôle. Elle soutient les uns, menace les autres, encourage, châtie, récompense ; — Elle apporte en Tunisie ce que le désordre y avait étouffé, une conscience ! — Généreuse mission, mais qui n’admet pas de défaillances : pour la remplir dignement, il ne nous faudrait ni passion ni vanité soi-disant patriotiques, — ni préjugés contre les indigènes, ni fausse sensibilité à l’égard des contribuables arabes, qui sont beaucoup plus heureux sous notre sauvegarde qu’ils ne l’ont jamais été; — ni dureté dédaigneuse envers les caïds, ni faiblesse envers les colons. — Qu’on ne s’y trompe pas, de la façon dont nous nous acquitterons de ce rôle dépend l’avenir du protectorat ; l’administration indigène vaudra ce que vaudra le contrôle; elle obéira tout aussi bien à la raison qu’à des instincts.

Ce contrôle, à qui le confier? — Le résident est auprès du bey, à la tête de tous les services; il est, — sous réserve de l’approbation du gouvernement français, — Le juge suprême : à côté de lui, sous ses ordres, le secrétaire général du gouvernement tunisien réunit les informations qui lui arrivent de l’intérieur, lui aussi est juge ; mais qui le renseigne? On devine que nous sommes tout près d’un dangereux écueil : on entrevoit les difficultés, les critiques, les conflits d’attributions qui peuvent surgir si nous faisons fausse route, — si on ne nous renseigne pas exactement. — Quels hommes connaissent assez les usages, la langue des Arabes, ont assez d’autorité, sont assez froids, expérimentés, intègres, désintéressés même, courageux, robustes, pour pouvoir utilement aller s’enterrer dans des villages perdus, en imposer aux Arabes, être respectés de l’armée, parcourir à cheval les tribus, interroger, entendre, discerner, se prononcer, faire savoir au gouvernement s’il est ou non bien servi? Improviser de tels fonctionnaires, il n’y fallait pas songer, mais où les prendre? d’autre part, on n’avait pas de temps à perdre. On commença par adopter un moyen terme. De nombreux officiers étaient répandus à la fin de la seconde campagne de 1881 sur presque tous les points du territoire ; beaucoup d’entre eux connaissaient l’Algérie, quelques-uns parlaient l’arabe, ils venaient de pacifier le pays, leur autorité était grande, ils ne coûtaient rien ; ce fut à eux qu’on eut recours. — Dans tous les postes militaires, à côté du commandement fut institué non i)as le bureau arabe, mais ce qu’on appela, pour ne plus se servir d’un mot devenu impopulaire, un bureau de renseignemens. — Le contrôle de l’administration civile et financière fut donc confié à l’armée.

Les critiques que souleva cette décision m’ont étonné tout d’abord ; elles me semblaient inspirées par un esprit, de coterie très étroit, le parti-pris absurde de ne pas admettre qu’un militaire puisse remplir des fonctions civiles, et cette impression s’affermit