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III.

Chaque année, au mois de mai, nous souhaitions la fête du principal. Il fallait plusieurs semaines pour préparer les surprises et les cadeaux qu’on donnait au père Antoine.

Pendant la récréation du soir, à l’heure de la sortie du bonhomme, on se concertait à voix basse. Mademoiselle présidait. On n’était pas toujours d’accord, mais on finissait par s’entendre, et quand la somme nécessaire était assurée par une liste de souscription, on commandait les livres, qu’on habillait de belles reliures. Mlle Juliette, qui ne sacrifiait jamais l’utile à l’agréable, prélevait quelque argent pour l’armoire au linge ; elle était parvenue ainsi à la garnir de belles chemises en toile de Hollande et de jolis services damassés. La veille, quand tout était prêt, on faisait l’exposition des objets dans sa chambre, et là, autour de la table, on convenait des dernières mesures. Elle avait déjà depuis longtemps préparé les sirops et les rafraîchissemens de toutes sortes, les fruits secs et les pommes d’api qu’elle avait conservés dans la mousse pour la fête.

Quand arrivait le grand jour, c’était, dès le matin, un branle-bas général dans le collège. Le père Antoine, pour laisser le champ libre, disparaissait à l’aurore. Il déjeunait chez un ami. Aussitôt qu’il avait tourné le coin de la rue, tout le petit monde arrivait dans la cour. Là, mademoiselle formait le cercle et donnait à chacun, avec sa voix claire et musicale, les instructions précises, comme on désigne le poste de combat avant la bataille.

La journée était trop courte ; les préparatifs étaient à peine achevés, qu’on voyait apparaître le père Antoine, avec sa figure étonnée et sa surprise de commande à la vue de tous ses élèves en uniforme. La fanfare entonnait un vieil air que le professeur de musique avait fait apprendre pour la circonstance. Au centre, tous les professeurs, et quelques grands frisés, raides dans leurs habits neufs. Mademoiselle, seule en avant, dans sa modeste robe de soie noire, un gros bouquet de roses à la main. L’élève désigné s’avançait vers le père Antoine et lui débitait un compliment en vers. Il répondait d’une voix émue : puis commençait le défilé des élèves, qui venaient successivement recevoir l’accolade. À sept heures, on se mettait à table. Ce jour-là. Mlle Juliette avait ordonné un repas plus succulent, le vin pur remplaçait l’abondance, et un plat sucré s’ajoutait au dessert.

Quand le jour tombait, avant le bal, on tirait le feu d’artifice sur la terrasse qui domine la rivière ; les longues traînes de feu montaient lentement au ciel, avec le bruit strident d’une étoffe qu’on déchire ; les enfans poussaient des cris de joie suivis de rires sans