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fois sur les hadar pillés et sur les coulouglis pillards. Aussitôt et sans s’éclairer davantage, il prit le parti de faire supporter aux coulouglis, aux juifs et même aux hadar rentrés de la veille, les frais de l’expédition qui les mettait, disait-il, à l’abri des extorsions d’Abd-el-Kader, et il leur imposa verbalement une contribution de 150,000 francs. Tout, depuis le principe jusqu’aux moyens d’exécution, devait être irrégulier dans cette affaire. Légalement, toute contribution de guerre doit être levée par les soins de l’intendance; non-seulement, l’intendance n’en fut pas chargée, mais le maréchal prétendit même se faire un mérite de lui en avoir épargné la charge. Il désigna pour collecteurs Moustafa-ben-Ismaïl et douze notables de la ville qui tout de suite se récusèrent; non content de se récuser, Moustafa prit la défense des coulouglis ; rien n’y put faire. Le conseiller secret du maréchal, son mauvais génie, un juif d’Oran, nommé Lasry, qui le suivait comme interprète, se fit attribuer les fonctions de collecteur, puis s’adjoignit un Arabe de grande tente, Moustafa-ben-Moukalled, lequel, à son tour, réclama l’adjonction du commandant des spahis Jusuf, déjà destiné, dans la pensée du maréchal, au beylik de Constantine. Ce furent en fait ces trois hommes qui présidèrent à la levée de la contribution. Elle commença le 25 janvier et, dès le premier jour, les vieux procédés turcs furent mis en pratique. De ceux qui s’excusaient de n’avoir pas d’argent monnayé, on exigeait qu’ils apportassent en échange leurs armes de prix, les bijoux de leurs femmes. Cette manière de substitution désapprouvée, interdite, le lô janvier, par le maréchal, n’en continua pas moins sous une forme à peine déguisée. Au lieu d’être versés directement à la contribution, les bijoux étaient apportés à Lasry, qui les prenait pour son compte et devenait débiteur à la caisse du prix d’estimation qu’il avait taxé lui-même.

Tandis que le maréchal Clauzel employait ou laissait employer ce moyen fâcheux de pourvoir aux besoins de la garnison du Méchouar, il se préoccupait d’établir ses communications avec Oran. Par la route qu’il avait suivie, la distance était grande; il y avait plus de trente lieues; par la vallée de la Tafna, il n’y en aurait eu que dix, le surplus étant voyage de mer. C’est pourquoi, dès son arrivée en Afrique, il avait fait occuper, à l’embouchure de la rivière, le rocher de Rachgoun. Le 23 janvier, une reconnaissance de cavalerie fut poussée sans difficulté jusqu’au confluent de l’Isser et de la Tafna. Le 25, le maréchal quitta Tlemcen, laissé à la garde de la première brigade, avec une colonne forte de deux mille quatre cents hommes d’infanterie, de six pièces d’artillerie, des chasseurs d’Afrique, des cavaliers d’El-Mzari, et de ces mêmes coulouglis qui allaient se battre à côté des Français au nom desquels s’exerçait odieusement contre eux la rapacité de Lasry. Arrivée à l’Isser, sans