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supérieur dans les études qui lui plaisaient, mais sur certaines matières il avait des lacunes complètes. Il faisait des vers et professait un véritable culte pour Musset et Hugo. Il aimait aussi Louis Blanc et Michelet, et tous ceux, en général, qui ont écrit sur la révolution. Mais il avait en horreur les classiques, la poésie banale, la littérature bourgeoise, l’instruction poncive et les enthousiasmes de commande. Quant à ses idées religieuses, elles étaient tellement obscures, le culte qu’il professait empreint d’une philosophie si nuageuse, qu’il en était à la fois le grand-prêtre et le seul croyant, quelque chose comme la religion de Swedenborg.

À l’exemple de son héros, Fabre d’Églantine, un compatriote, il avait mérité un prix de poésie aux Jeux floraux de Toulouse, il était parti de là pour croire à sa haute destinée politique et littéraire. Mais, en quittant le collège, quand il avait dû lutter pour la vie, il sentit amèrement que ses vers ni ses aspirations ne sauraient lui donner du pain ; sans exemption et sans ressources, à vingt ans, il subit le sort commun et fut incorporé dans un régiment d’infanterie en résidence à Lyon. Intelligent et sympathique, il franchit vite les premiers grades ; il venait de recevoir l’épaulette de sous-lieutenant quand il fut cassé et dégradé pour s’être affilié, sans prudence, à une société secrète. On l’accusait aussi de propagande révolutionnaire dans son régiment. Il flattait les soldats et s’insurgeait volontiers contre ses chefs ; en un mot, il glissait sur la pente qui devait aboutir à la révolution de 1848.

Sa carrière brisée, il fut réduit à donner des répétitions et à vivre de sa demi-solde en attendant mieux. Février vint à temps pour le tirer de l’ornière. On lui offrit de rentrer dans l’armée avec son grade ; mais il était las de la vie de caserne, il préféra la chaire d’histoire au collège de X.., à laquelle il fut officiellement nommé.

C’était un grand garçon mince et un peu abandonné dans sa démarche ; le service n’avait rien laissé de militaire en lui. Il portait une épaisse chevelure noire, longue et frisante aux extrémités ; son front, un peu couvert et très proéminent, annonçait une imagination vive. Il avait de grands yeux presque constamment vagues ; rarement il prenait la peine de leur donner une expression. Des pommettes saillantes ombrageaient des joues creuses ; sa bouche, grande et ferme, était surmontée par une moustache fine, une barbe courte et rare, se terminant au menton par deux pointes séparées. S’il n’avait rien de remarquable à première vue, sa figure devenait attachante pour ceux qui le considéraient attentivement.

Mlle Juliette, sans se rendre compte, l’avait souvent observé ; il ne ressemblait point aux autres professeurs : sa tête de christ brun ne se lisait pas aussi facilement que toutes les figures banales qui