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Penchée sur lui, elle eût voulu maintenant lui souffler de sa vie ; elle mettait la main sur le cœur, l’appelait doucement, bien doucement, les lèvres à l’oreille.

Sous la chaleur de cette haleine aimée, le vieux maître ouvrit enfin les yeux, mais sans remuer la tête, il n’en avait pas la force. Il laissa errer un regard vague autour de lui, fixa mollement le médecin et le principal, mais sans les reconnaître ; il paraissait surtout étonné.

Ses yeux tombèrent enfin sur Mlle Juliette. Il eut un mouvement de joie et de reconnaissance. Il fit un effort, se retourna, et l’attirant doucement à lui : — Pas blessée, vous ? Ah ! tant mieux.

La mémoire lui revenait, comme au sortir d’un rêve.

Il reconnut cette chambre dont il avait été banni, et que la mort venait de lui rouvrir. Il joignit les deux mains, s’étendit doucement avec un geste de bien-être et de possession, et de nouveau perdit connaissance.

La pauvre fille souffrait cruellement ; elle restait clouée au chevet du moribond par une sorte de piété filiale. L’homme avait disparu. Ses ridicules s’étaient effacés… La mort qu’on sentait présente enveloppait le groupe d’une poésie sinistre. Malgré tout, son esprit s’échappait pour aller vers l’autre ; elle eût voulu les réunir, mais Simon n’avait pas reparu.

Toute la nuit, mademoiselle veilla sans prendre aucun repos. Le regard fixé sur la face du vieil homme, elle se tenait accoudée silencieuse au pied du lit. Dans la crainte d’un dénoûment fatal, le docteur n’avait pas voulu quitter le blessé ; il ronflait dans le grand fauteuil de perse.

Elle était prise de terreur quand le malade était agité par un spasme ; elle éveillait le médecin. Il semblait à chaque instant qu’il allait passer ; le docteur soulevait la paupière, pressait le pouls, la rassurait et continuait son somme bruyant en homme habitué à ces veillées funèbres et qui n’a pas de temps à perdre en doléances inutiles.

Les nuits sont courtes en juin. Le crépuscule vint heureusement apporter une diversion consolante aux tristesses obscures. Un jour blanc envahit lentement la chambre. Mademoiselle ouvrit la porte pour laisser pénétrer le parfum du matin. Une fraîcheur aiguë et douce à la fois l’agita d’un léger frisson et contribua à l’éveiller tout à fait. Elle aspira l’air avec délices. Le temps était calme, une lueur rosée montait derrière les coteaux, la vallée était inondée de brouillard, les peupliers montraient leur tête grêle au-dessus des nuées cotonneuses ; les chauves-souris chassées par le jour rentraient dans leurs tanières, éveillant les moineaux qui remplissaient l’air de leurs piaillemens d’écoliers.